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25 févr. 2010

Balthus, de l'autre coté du miroir 2/2


Le meilleur moyen de ne pas tomber en enfance c’est de ne l’avoir jamais quittée.

Balthus a toujours voulu peindre pour l’éternité. Il cherchait à atteindre un équilibre définitif, une immobilité contre laquelle les siècles ne peuvent rien. Pour cela, il travaillait longtemps la matière en s’appuyant sur les techniques des peintres italiens de la Renaissance qu’il admirait tant. Il aimait aussi Poussin, Courbet, Derain.

Peindre pour l’éternité n’est pas une prétention mais une façon de placer le travail artistique au plus haut.


Mais sous la facture classique, pointe le bizarre. Il ne représente pas la réalité, mais suggère que ce que l’on voit n’est que l’apparence acceptable des êtres. Il provoque les projections du spectateur à travers un érotisme délicat.

Balthus est le peintre des jeunes filles, offertes à tous les désirs mais dans un monde clos qui les renvoie à leur propre solitude. L’adolescente incarne la femme en devenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. La femme a trouvé sa place dans le monde, pas l’adolescente. Les corps ne sont pas parfaits chez Balthus : ventres trop ronds, seins trop hauts, jambes trop fines. Balthus incite à voir de l’autre coté du miroir. Ses jeunes filles attendent la métamorphose, le passage du virtuel à la réalité. En peinture classique, le nu est considéré comme la plus haute expression graphique. Bien sur, il était facile de reprocher à Balthus des intentions érotiques perverses. « Je n’ai jamais peins que des anges. D’ailleurs toute ma peinture est religieuse » se défendait le peintre. Même si ces anges sont quelques peu pervers et ambiguës, à l’instar de la jeune Alice de Lewis Carroll.


Balthus, afin de ne pas faire poser trop longtemps ses jeunes modèles, les fit photographier. Balthus, occupé par ses responsabilités à la villa Médicis, peignait lentement. Il achevait parfois ses toiles huit ans après. Initié à la photographie, Balthus décidait la pose, l’éclairage et les habits des modèles, filles d’amis ou d’employés de la villa Médicis. Le photographe Durieu prenait les clichés.

Souvent de grand format, les tableaux de Balthus sont peints selon la technique des fresques. Il utilise un mélange de caséine et de gesso, qu’il mélange avec des peintures à l’huile. Il utilisera aussi des couleurs appliquées à l’éponge ou mouchetées à la brosse pour des fonds duveteux et vivants.

Balthus aime les ambiances tamisées et feutrées. Ses couleurs sont toujours adoucies, et frisent parfois la monochromie, juste relevées d’une trace de couleur complémentaire ou tranchée.


Après son mariage avec Setsuko, Balthus apporte une touche d’orientalisme dans ses œuvres. Dans son enfance, il avait lu un livre sur la peinture chinoise, et étudié les estampes des paysagistes japonais Hokusai et Hiroshige. Dans les paysages qu’il a peints, Balthus utilise les techniques d’ombres et de lumières et les perspectives abaissées traditionnelles aux peintures d’Extrême-Orient.

Balthus est aussi le peintre des chats, sa famille. Son autoportrait de 1935 porte le nom de « Roi des chats ». Fasciné par la lecture d’Alice aux pays des merveilles, il peint une série de Chat au miroir .

« Le chat est stupéfait par l’image que lui renvoie le miroir. C’est un tableau polémique, j’ai voulu me moquer des gens qui écrivent sur la peinture ». Chat du Cheshire, chat taquin ou mystérieux, témoin silencieux des scènes peintes par l’artiste.


On a souvent reproché à Balthus de peindre pour les musées, d’être trop classique, voire conservateur. Trop parfaits ses tableaux ? Travail de la matière picturale, composition géométrique sous-jacente des tableaux, dessin parfait. Sans doute, à la fin de sa vie, Balthus a perdu l’agressivité de ses premières œuvres. Mais en cherchant bien, il y a toujours un petit détail dérangeant, soit dans la pose trop maniérée de ses personnages, soit dans les expressions lascives ou figées.

« Je déteste le moderne. Cela veut dire quoi être moderne, en peinture ? Les peintres d’aujourd’hui ne savent pas réaliser une phase picturale. Avant, il fallait apprendre un minimum de techniques. J’ai l’impression que mon monde n’existe plus. Je ne comprends plus rien à notre époque. C’est comme si la laideur avait envahi la planète » déclare-t-il en 2001 peu avant sa mort.

Mais Balthus n’est pas un conservateur. Il a aussi de l’humour et aime son monde irréel, dans lequel il a pris le temps de peindre, en amoureux de la beauté.

Il fallait aussi avoir une forte personnalité, et un certain courage pour traverser un siècle d’art fait de ruptures, de déconstruction et d’abstraction pour affirmer haut et fort une peinture différente.

Lorsqu’on peint, on essaie d’oublier son ego, et c’est à ce moment là que je sens que la lumière qui est Dieu. Et mon esprit, mes mains ne sont plus que des machines qui écoutent. On écoute ce qu’on doit faire.

Mon idéal serait de faire une peinture religieuse, mais sans aucun sujet religieux. Je voudrais rentre la beauté du divin. Seul Mozart a réussi à le faire.

Balthus, de l'autre coté du miroir 1/2


On peut être réaliste de l’irréel et figuratif de l’invisible.


« Mais c’est du figuratif ! » s’exclamèrent les visiteurs lors du vernissage de la première exposition d’un jeune peintre, Balthus, à la galerie Pierre à Paris, en 1934. Il En pleine période surréaliste ou abstraite, la peinture de cet inconnu tranchait. Et choquait. La toile « La leçon de guitare », par son sujet franchement érotique, fit scandale.

La dite toile, achetée quelques années plus tard par le MOMA de New York ne fut jamais exposée et ne fut pas non plus montrée lors de la rétrospective Balthus organisée par le Centre Beaubourg à Paris en 1984, 50 ans plus tard. C’est dire si ce tableau reste encore choquant. Malicieux, l’artiste a reconnu qu’il l’avait peint justement pour faire parler de lui, même si cette œuvre ne fait qu’annoncer les thèmes de prédilection d’un des artistes les plus originaux de sa génération.


Mais qui est donc ce jeune homme à la peinture aussi maîtrisée que scandaleuse ?

Balthazar Michel Klossowski (son vrai nom) naît un 29 février 1908, à Paris. Son père est historien de l’art, et peintre. Sa mère Baladine est l’amie du poète Rainer Maria Rilke. Son frère Pierre Klossowski sera également peintre et écrivain. Dans cet univers raffiné et cosmopolite, le jeune Balthus dessine et se permet même d’illustrer des poésies de Rilke. Il n’a que 12 ans. Il passe ses vacances dans l’atelier du peintre et sculpteur allemand Magrit Bay en Allemagne, pays d’où est originaire son père.

Inscrit à une école de dessin à Paris, il est encouragé par Bonnard et passe son temps à copier des tableaux au Louvre. Puis il se rend en Italie où il copie certaines fresques de Piero Della Francesca et de Masaccio. Il expose pour la première fois à 21 ans, en Suisse. Après son servie militaire, il s’installe à Paris et entreprend d’illustrer les Hauts de Hurlevent d’Emilie Brontë.


Balthus ne suit pas un parcours classique aux Beaux-Arts. Il se forme lui-même, s’imprégnant des techniques du quattrocento, et de la peinture classique. Il se définira toujours comme un autodidacte.

Même si sa peinture tranche totalement avec les courants artistiques, abstraction, surréalisme, Balthus noue de nombreuses amitiés dans le monde artistique. Giacometti, Pierre-Jean Jouve – le poète sera un ardent défenseur de sa peinture -, Antonin Artaud, et Picasso qui lui achètera une toile en 1942. Les amitiés de Balthus sont solides et fidèles, et il retrouvera régulièrement Picasso ou Giacometti.

Balthus est aussi décorateur de théâtre. On note d’ailleurs dans ses œuvres un grand sens de la mise en scène, dans les attitudes et dans la composition. Mozart, Camus, Shakespeare ou Artaud, Balthus crée avec enthousiasme, tout en continuant son œuvre picturale, dérangeante sous sa facture classique, nous y reviendrons.


En 1961, son ami Malraux, Ministre de la culture, le nomme Directeur de la Villa Médicis, dont il entreprend la restauration et réorganise l’enseignement. En 1967, il convole en secondes noces avec la japonaise Stesuko Ideta qui sera aussi son modèle. Dix ans plus tard, âgé de 61 ans, il quitte Rome pour s’installer à la Rossinière en Suisse, un magnifique chalet où il peut peindre et recevoir ses amis. Honoré par diverses récompenses prestigieuses, exposant partout dans le monde, Balthus meurt le 18 févier 2001.

« Je pense que l’artiste le devoir d’être profondément narcissique, c’est-à-dire qu’il a le devoir d’être amoureux de la beauté » aimait dire Balthus. Peintre de la femme, de la très jeune femme, peintre des chats, il montre en peinture des attitudes osées, une nudité troublante, parfois à la limite du surréalisme. Ces personnages semblent figés, par un subtil jeu d’ombres et de lumière, parce que Balthus voulait que sa peinture résiste au temps. S’il recherche les techniques anciennes des grands peintres de la Renaissance ou de la peinture classique, ce n’est qu’au service d’un sujet destiné à provoquer un « frisson cérébral ».

Séraphine Louis, peindre jusqu'à la folie. 2/2



Je sais bien que ma main n’y est pour rien, elle ne fait qu’obéir, elle suit ce qu’on me dicte de faire, je ne suis qu’un instrument.

En 1912, Séraphine Louis rencontre le collectionneur d’art allemand Whilhem Uhde.

Impressionné par l’œuvre luxuriante de la demoiselle de Senlis, il va l’encourager et lui achète des toiles qui étonneront les artistes parisiens que Uldhe fréquente et soutient.

Pendant 2 ans, Uldhe rendra régulièrement visite à Séraphine, lui achetant des œuvres. Mais Uhde est allemand et dès le début de la première guerre mondiale, il doit quitter la France pour Weimar. Sa collection parisienne sera volée. Pacifiste convaincu, il donnera des conférences sur l’art un peu partout dans cette Europe déchirée.


Les années de guerre sont particulièrement éprouvantes pour Séraphine. Elle subsiste en échangeant des toiles auprès des commerçants, et continuant ses travaux noirs. Elle peint toujours avec ardeur.

Il est faux de voir en Séraphine une peinture naïve. Ses compositions sont étudiées, ancrées par une bande noire en bas du tableau pour s’élever ensuite (une élévation spirituelle) vers le haut.

Les formes aussi sont travaillées, précises et si la représentation semble des fleurs ou des feuilles, le vrai sujet du tableau est bien la matière picturale en elle-même, superposée, créant une accumulation et une richesse de couleurs, des textures soyeuses et riches. Plumes, feuilles, fleurs tissent la trame d’un monde merveilleux, vivant, premier.

Les conservateurs de Musée se disent toujours étonné par la fraîcheur de cette peinture qui ne semble pas vieillir


A partir de 1925, Séraphine consacre de plus en plus de temps à la peinture. C’est aussi à cette époque que se manifestent les premiers troubles. Certes, de par son comportement et sa vie, elle passe pour une originale. Mais elle est sujette à des angoisses, et parfois ses attitudes peuvent sembler étranges.

En 1927, elle retrouve Uhde. Celui-ci lui achète des toiles qu’il expose avec succès à Paris mais aussi à Londres et en Allemagne. Ses œuvres sont achetées par des collectionneurs. Uhde la rémunère et lui fait livrer des toiles immenses et des tubes d’huile qu’elle refuse. Elle a ses mélanges. Séraphine dit que la Vierge lui impose de faire des formats de plus en plus grands.

« Si vous saviez comme c’est beau quand Elle vient ».

Hélas, Séraphine est incapable de gérer cet argent qui afflue. Elle achète un peu n’importe quoi, et dépense sans compter. Elle dit dialoguer de plus en plus avec les Anges, et prévoit de se marier avec l’imaginaire Cyrille. Hélas la crise de 1929 ne permet plus à Uhde de la rémunérer et il cesse de lui donner de l’argent.

En proie à de violentes crises d’angoisse, Séraphine abuse de ce petit vin naturel. Elle se persuade que des « femmes en noir » veulent brûler ses tableaux et se met à douter de son art. L’inspiration si fertile fait place à des phobies, des délires de persécution. Les voix qu’elle entend se font plus présentes mais aussi plus confuses.

Le 31 janvier 1931, après avoir déposé tous ces biens sur la voie publique, elle est internée, tout d’abord à l’hôpital de Senlis, puis un an plus tard à l’asile de Clermont sur Oise, où elle restera jusqu’à sa mort en 1942.

Elle ne peindra plus jamais. Elle a 67 ans.


J’ai comme un mal intérieur qui me ronge le ventre. Il me faut du vin pour calmer ce mal intérieur.

L’état de Séraphine pendant ces 10 dernières années n’évolue pas. Elle semble résignée sur son sort. Même si elle demande à sortir, et se révolte parfois, elle est la plupart du temps enfermée dans son monde irréel. Elle se met aussi à écrire, mélangeant souvenirs et délires.

Avec la guerre, les conditions de vie deviennent atroces dans l’asile de Clermont : surpopulation, manque de nourriture, conditions d’hygiène dégradées. La santé de Séraphine se détériore. Elle se plaint d’avoir faim. En 1942, on diagnostisque un cancer du sein. Elle est soignée à coups de bromure et de chloral, des calmants puissants. Elle meurt le 11 décembre 1942, à 78 ans.

Séraphine Louis avait toujours souhaité être enterrée dans son village natal d’Arsy. Elle sera jetée dans la fosse commune. Il faudra attendre 2005 pour qu’une cérémonie à sa mémoire soit organisée par la Ville de Clermont. Un arbre sera planté en hommage à sa toile l’arbre de vie. L’épitaphe qu’elle a composée « Séraphine Louis, sans rivale, attendant sa résurrection bienheureuse » a été gravée sur une plaque.

Alors que les critiques et historiens d’art cherchent à classer Séraphine Louis (art naif, art primitif, art brut ?) je préfère laisser Séraphine libre de toute étiquette, d’écoles picturales ou de dogme. Juste contempler son œuvre, faire notre son paradis imaginaire qui nous incite à aller rechercher dans notre propre imaginaire des visions belles et apaisées.


Bibliographie

- Séraphine de Senlis, collectif, Gallimard, avec une très belle iconographie

- Séraphine de Françoise Cloarec, Phébus poche

- Séraphine, peintre aliénée, thèse de doctorat de médecine de M. Orthas-Perreti, contenant les écrits et le dossier médical de Séraphine Louis.

- Séraphine de Senlis d’Alain Vircondelet, Albin Michel

Séraphine Louis, peindre jusqu'à la folie. 1/2


« Je fais comme cela, j’y connais rien ».

Etrange vie que celle de Séraphine Louis, que l’on redécouvre actuellement, grâce au succès du film de Marc Provost (récompensé par 7 césars dont celui de meilleure actrice, justifié pour Yolande Moreau dans le rôle titre).

Cadette d’une famille pauvre de l’Oise, Séraphine naît le 3 septembre 1864. Sa mère meurt jour pour jour un an plus tard et la fillette est élevée par sa sœur aînée Argentine. Très jeune la fillette aide aux petites tâches ménagères, dans ce milieu pauvre et campagnard.

Après l’école, où elle est une élève appliquée mais solitaire, reconnue pour avoir des dons pour le dessin, elle garde les vaches, parcourant la nature et dessinant. Toute sa vie, elle gardera le souvenir des champs, des arbres, de fleurs et des animaux.

C’est aussi une enfant pieuse, qui voue un véritable culte à la Vierge.

A 13 ans, elle est placée comme bonne dans une maison bourgeoise de Compiègne. Nourrie, logée, blanchie, elle fera plusieurs places et effectuera ce qu’elle nomme ses tableaux noirs. Engagée comme servante au Couvent Saint Joseph de Cluny à Senlis, elle restera 20 ans au service des sœurs. Est-ce cela qui a renforcé chez elle la passion religieuse ?


En 1902, elle quitte le couvent, pour des raisons inexpliquées. Elle trouve des emplois comme servante à Senlis et à Paris.

En 1906, âgée de 42 ans, elle décide de se mettre à peintre. Pour la première fois de sa vie, Séraphine a un chez elle, une pièce modeste meublée chichement, qui lui sert d’atelier, au cœur de Senlis. On ne peut pas imaginer la modernité de ce comportement, dans le contexte et dans le cadre d’une région rurale. Que des femmes peintres aient traversé le siècle (Suzanne Valadon ou Marie Laurencin) était déjà exceptionnel, mais limité à un microcosme parisien et artiste. En tout cas, nuSéraphine Louis cherche à prendre des cours de dessin. Mais on n’enseigne pas à une servante, et elle est obligée de se débrouiller seule. En journée, elle travaille dans les maisons bourgeoises, où elle ne fait pas attention aux railleries de cette étrange bonne-peintre. Elle est même réputée aimable, serviable. Elle troque ses premières toiles contre des vivres auprès de commerçants. On ne lui connaît pas d’amoureux, si ce n’est un imaginaire Cyrille.

Mais petit à petit, au fil du temps, la personnalité quelque peu originale de Séraphine va s’affirmer. Femme vivant et s’assumant seule, s’habillant de façon peu conformiste, portant les cheveux courts, elle peint la nuit et travaille le jour. Dans une petite ville moyen-âgeuse et bourgeoise comme Senlis, elle fait figure d’excentrique. Mais il semble que Séraphine ait traversé cette période de sa vie sans se soucier de l’opinion publique, trop préoccupée par sa peinture, son désir de peindre.


Elle raconte que la Vierge lui a parlé et lui a donné l’ordre de dessiner et de peindre. On sait que la jeune femme est d’une grande piété : elle ne manquera jamais un office religieux, et dans son atelier trône une statue de la vierge. De l’encens brûle et elle peint en chantant des cantiques.


Peu cultivée, n’ayant jamais eu aucun enseignement artistique, elle peint à sa façon, des fleurs, des feuilles, des arbres, cette nature de son enfance, ce qu’elle connaît et ce qu’elle magnifie dans le langage pictural qu’elle invente. On est frappé par les talents de composition et par le raffinement des couleurs, travaillées, étudiées.

Jamais Séraphine Louis n’a révélé la composition de ses peintures. On sait que, faute de moyens, elle sera fidèle au ripolin, une peinture à l’huile qui sèche rapidement et qui est utilisée pour le bâtiment. Elle y adjoindra des pigments et d’autres produits dont de l’huile bénite, dérobée dans les églises, et plus tard des vernis.

On sait qu’elle peint par terre, et qu’elle passe en fond, une première couche de ripolin blanc. Elle dessine ensuite son motif, et superpose des couches de peinture, travaillant la matière picturale, alternant les empattements et les glacis fins. Il n’y a pas de représentation humaine dans ses tableaux, mais une nature abondante, riches de couleurs et de formes. Si le sujet apparent semble simple, peindre est comme le dirait Kandinsky, une vraie nécessité intérieure. Les couleurs sont des émotions, les formes très travaillées, évoquant les plumes des animaux, tout un monde imaginaire, sublimé.

« J’aime les couleurs, la lumière. J’aime les arbres, les feuilles, les fruits, les fleurs et les oiseaux. J’aime surtout les plumes des paons, des faisans et des pintades ».

Sans doute pour échapper à d’autres démons intérieurs ? Séraphine ne peut peindre qu’entourée d’encens, de bougies, en chantant des cantiques, dans une sorte d’environnement mystique, proche d’une forme de transe intérieure.





Kandinsky 3/3, les années Bauhaus


« L ‘art abstrait dresse à coté du monde réel, un monde qui n’a rien à voir extérieurement avec la réalité. Intérieurement, il est soumis aux lois générales du monde cosmique. »

Le Bauhaus, fondé par Walter Gropius en 1919 veut fusionner les arts plastiques et les arts appliqués, sans perdre de vue des applications concrètes.

Il est installé à Weimar, la capitale de l’Allemagne d’après la première guerre.

Gropius fait appel à des artistes modernes comme Johannes Itten, Oskar Schlemmer, Paul Klee et Kandinsky chargé de l’atelier de peinture murale et de l’atelier des formes. Kandinsky avait déjà réalisé des fresques murales.

Kandinsky a toujours été reconnu comme un bon pédagogue, n’hésitant pas à engager le dialogue avec ses étudiants. En 1926, il publie « Point, Ligne, Plan » qui traite de l’examen analytique des différents éléments d’un tableau, qu’il complète par une psychologie de la forme (le gestaltisme).

Il avait déjà publié une théorie des couleurs, inspirée par Goethe. Il complète son étude des couleurs, en les opposant et en les classifiant en chaudes, froides, claires, foncées, ce qu’il nomme sonorités principales.


Son travail dans l’atelier de peinture murale lui permet d’explorer de nouveaux matériaux et liants.


Mais c’est sur la forme que Kandinsky va innover.

Il analyse les points, les lignes et les surfaces et leurs rapports. Il oppose lignes droites à lignes courbes et anguleuses. Il tente également de relier les formes et les couleurs, dans un langage particulier, le sien, subjectif et sans application rigoureuse.

Il enseigne également le dessin analytique et pousse ses élèves à rechercher les formes abstraites à partir de natures mortes. Parce que le Bauhaus se voulait aussi une école d’architecture, rationnelle, Kandinsky fit évoluer sa peinture vers des constructions abstraites mais en incorporant des plus en plus de géométrie. Le cercle, symbole de la forme parfaite, est mis en valeur dans les toiles de cette époque. Le cercle évoque aussi le soleil, la lumière et la spiritualité. Kandinsky utilise également les courbes, les angles et les lignes droites, limitant ses couleurs aux primaires, jaune, bleu, rouge et au noir.

Mais les lithographies et les petits formats qu’il peint également à cette époque laissent libre cours à son imaginaire.

Kandinsky donne également des cours aux Etats-Unis où il expose régulièrement.

En 1925, le Bauhaus emménage à Dessau. Kandinsky partage une maison avec son ami Paul Klee. Il ouvre également un cours de peinture. Fasciné par le cosmos et l’espace, il peint une série de toiles qui semblent évoquer des galaxies flottant dans un univers réapproprié.


En 1928, Hans Meyer devient directeur du Bauhaus. Pragmatique et peu attaché à l’esthétisme, et rentra en conflit avec les peintres. Son successeur Mies Van Der Rohe fit renoncer l’école à son engagement idéologique, surtout pour lutter contre les attaques des nazis, qui voyaient dans le Bauhaus une dégénération de l’art.

Kandinsky quitta l’école en 1933, à sa fermeture décrétée par la Gestapo. Il put s’enfuir avec sa femme et s’installa à Paris.


Kandinsky pensait retrouver un cercle amical et intellectuel à Paris. Il n’en fut rien. La scène parisienne artistique était influencée par le cubisme ou par l’abstraction géométrique des peintres tels que Mondrian ou Jean Arp. Exilé et seul, Kandinsky travailla dans une petite pièce atelier modeste de son appartement parisien. Sa peinture connaît alors une dernière évolution, que l’on a nommé « abstraction biomorphe ».

Sa palette s’enrichit de tons et d’harmonies audacieuses, superposées en fines couches, parfois transparentes, sans contrastes colorés violents. Les formes, souvent de couleurs vives semblent flotter, comme dans un monde inconnu, pouvant rappeler les invertébrés marins, des formes embryonnaires primitives, qui ne sont pas sans rappeler les travaux de Miro ou de Arp sur les formes biomorphes.

Proche des surréalistes, il n’est pourtant pas à l’aise dans ce groupe qui explique l’art par l’inconscient et non, comme l’a toujours défendu Kandinsky, à une nécessité intérieure.

Les années de guerre furent matériellement très difficiles pour Kandinsky. Il réussit toutefois à exposer, soutenu par la galeriste Jeanne Boucher.

Jusqu’à sa mort, le 13 décembre 1944, et malgré une artériosclérose sévère, Kandinsky peint des petits cartons pour transposer en peinture la musique de son compatriote Stravinsky.


Kandinsky aura joué un rôle prépondérant dans l’art moderne. Il a réussi à introduire des conceptions radicalement novatrices de la peinture, lui ouvrant de nouvelles portes.

L’art gestuel, l’art géométrique et toute la peinture non figurative lui doivent beaucoup. Des artistes aussi différents que Thomas Muller, Pierre Soulages ou Christian Bonnefoy revendiquent l’héritage spirituel du peintre russe.

« L’art est un langage grâce auquel on parle à l’âme, dans une forme qui n’est accessible et propre à ce langage lui-même ».


Kandinsky, le Cavalier Bleu 2/3


"L'oeuvre d'art consiste en 2 éléments : l'intérieur, l'émotion de l'âme de l'artiste, et l'extérieur. Cette émotion a la capacité de susciter une émotion au fond correspondante, dans l'âme du spectateur."

Lors de sa première exposition, sous l'étiquette "Cavalier Bleu", en 1911, que Kandinsky provoqua un scandale. Il présentait entre autres, la Composition V, un tableau abstrait. Dans le catalogue, qui devint plus tard le livre "Du Spirituel dans l'Art', le peintre expliquait que la peinture devait suivre l'évolution du 20ième siècle, et que l'humanité avait besoin d'un recueillement spirituel. Les formes proposés dans la composition, lumineuses et abstraites devaient représenter la vision du spirituel. Une démarche finalement classique dans la peinture, si l'on songe à tous les tableaux inspirés par la religion. Mais l'expression plastique change.
En ce début de siècle, les intellectuels et les artistes cherchaient un renouveau et se tournaient vers l'abstrait. Schonberg dans la musique, mais également Debussy ou Scriabine. Matisse innovait avec les couleurs fauves, et Picasso avec le cubisme cassait la forme. Kandinsky, qui connaissait les travaux des deux peintres français travaillait à la fois sur la couleur et sur la forme.
Le format gigantesque de la composition V, les éléments disséminés rappelant quelques notions figuratives, une construction stylisée deviendront la marque de fabrique du peintre. Le tableau renvoie au thème de l'apocalypse, de la destruction et de la renaissance et du combat ou de la confrontation qui seront les thèmes de l'oeuvre du peintre.
Kandinsky était aussi conscient du danger de rendre la forme et la couleur indépendantes et sans signification. Pour cela, si les vibrations de la couleur sont très travaillées, les premiers tableaux abstraits du peintre gardaient toujours une trace d'un motif figuratif.
Dans une époque déchirée, à l'aube de la première guerre mondiale, Kandinsky a tenté de résoudre les conflits picturaux : antagonisme des couleurs (par exemple le rouge et le bleu) qu'il définit de façon poétique et psychologique, langage des lignes qui s'opposent, noires ou blanches, symbolisée par l'arc (arme qui se tend).

Le groupe du Cavalier Bleu, qui voulait rénover la peinture et les arts organisa des expositions, et publia un almanach en 1912. Kandinsky expose aussi à Berlin, à Paris, présentant des compositions de plus en plus audacieuses vers l'abstraction et un langage alternant des formes simples et compliquées, des oppositions de couleur vives.
Kandinsky est désormais un peintre reconnu et admiré. La déclaration de guerre en 1914 lui fit quitter l'Allemagne pour la Suisse, puis pour Moscou.

Kandinsky n'a jamais été coupé de sa patrie. Il entretenait des relations étroites avec les artistes et intellectuels russes, exposant les premiers au sein du Cavalier Bleu et échangeant des courriers avec les seconds. Son ouvrage "Du spirituel dans l'Art" avait été traduit en russe et accueilli comme porteur d'un art nouveau. Dans la Russie pré-révolutionnaire, l'art abstrait faisait figure de modernisme.
Après la révolution russe de 1917, Kandinsly fut nommé professeur et responsable de plusieurs programmes éducatifs.
Sa peinture intègre des éléments géométriques, sans doute sous l'influence du constructivisme et du suprématisme. Mais les relations entre le peintre et l'avant-garde russe vont se détériorer. Kandinsky, passionné de religion et d'occultisme, est jugé trop spirituel, dans un art qui se veut radical, logique, formalisé sur des formes géométriques. Certes Kandinsly explore aussi les formes géométriques, mais surtout travaille sur des compositions rationnelles, basées sur une analyse de la forme.

Lassé par les tensions constantes de ses collègues qui voyaient dans ses tableaux des "difformités spiritistes", le peintre quitte Moscou pour Berlin en 1921.
Un an plus tard, il est nommé professeur à l'école d'art du Bauhaus.
A suivre.

Kandinsky, les premières années - 1/3


"l'art ressemble à une religion sous bien des aspects."

Kandinsky (1866-1944) est aussi un théoricien de l'art. L'activité artistique devient pour lui une "nécessité intérieure".
C'est lors d'un voyage en Italie dans son enfance qu'il développe sa sensibilité à la couleur. Il mémorisera facilement les tons, qu'il aime décrire avec poésie. Elevé par une tante cultivée, il sera bercé par les contes russes et allemands dont il s'inspirera pour ses premières oeuvres.
Décrit comme un enfant sensible, réfugié dans un monde intérieur peuplé de créatures féériques, il s'oriente cependant vers des études de droit, pendant équilibré à un imaginaire débridé. Il s'adonne à la peinture à titre de loisirs. Un voyage de travail lui fit découvrir le folkore russe dans lequel il puisera son inspiration des premières oeuvres.
Promis à un avenir brillant, il se voit proposer un poste d'enseignant universitaire en 1892, Kandinsky hésite entre une vie bourgeoise, et la vie plus bohème d'artistes. L'exposition des Impressionnistes à Moscou, la représentation d'un opéra de Wagner incitère le jeune professeur a adandonné sa carrière pour s'installer comme artiste. En 1896, il quitte Moscou pour Munich, avec déjà l'idée d'une peinture nouvelle.

Munich est une ville culturelle, regroupant de nombreux artistes de toutes tendances. On y prône des idées nouvelles sur l'art, notamment celle que l'art ne doit pas copier la réalité. Kandinsky, âgé de 30 ans, se forme au dessin et à la peinture auprès d'un maître impressionniste. Peu fasciné par les cours d'anatomie et de modèle vivant, il peint des paysages.
Il est admis à l'Académie des Beaux-Art de Munich en 1900 et fait la connaissance d'un autre élève Paul Klee. Un an plus tard, Kandinsky s'installe comme artiste, et fonde Phalanx, une association d'artistes qui expose ensemble, loin du conformisme académique. Il écrit également des critiques d'art publiées dans les revues russes. Phalanx expose des oeuvres impressionnistes, symbolistes et Art nouveau.
Fasciné par le jurgendstil dans lequel il voit déjà des formes abstraites, le peintre réalise des esquisses de bijoux, et des gravures sur bois destinées à illustrer des poèmes. Pour Kandinsky, les différentes disciplines artistiques (musique, littérature, art graphique) doivent fusionner.
Il commence à peindre des tableaux inspirés de Moscou, en utilisant des petites touches épaisses mais lumineuses qui renforcent l'idée d'un monde imaginaire.
Très vite, Kandinsky est convaincu qu'il existe une "correspondance intérieure" entre l'oeuvre d'art et le spectateur ce qu'il résume par sonorité.

Kandinsky jouit d'un succès d'estime, mais ne trouve pas la notoriété escomptée. Il dissout l'association Phalanx en 1905 et quitte Munich pour un voyage à Paris où il expose en 1908. Le cubisme commençait à poindre et le peintre russe sympathise avec le groupe des Nabis et des Fauves. Sa peinture s'en trouve influencée. De retour à Murnau où il achète une maison, il peint des payusages composés de blocs massifs e couleurs pures contrastées. Le sujet à tendance à disparaitre au profil des masses colorées, parsemées de petites touches de multiples couleurs.

En 1909, il fonde la "Nouvelle association des Artistes de Munich" (NKV). Très engagé dans les milieux artistiques et intellectuels, Kandinsly commence aussi à écrire sur l'art. L'art n'a pas besoin de motifs figuratifs, pense-t-il. Sa rencontre avec le compositeur Schonberg - Kandinsky était un grand amateur de musique - devait également l'influencer. Il entretint toute sa vie une correspondance épistolaire avec le fondateur de la musique dodécaphonique.
Il se passionne aussi pour les théories occultes et l'artisanat d'art.
Munich la conservatrice devint vite, sous l'impulsion des jeunes artistes la capitale d'une avant garde artistique européenne. La peinture de Kandinsky se fait elle de moins en moins figurative. La perspective classique est mise à mal au profit de la couleur et de lignes libres. La représentation figurative semble se dissoudre, sans un contrepoint d'équilibre.
Kandinsky maitrise parfaitement son évolution. Il classe ses oeuvres en 3 groupes "Impressions" qui restent très figuratives, "Improvisions" qui traduisent des mouvements plus spontanés du pinceau et "Compositions" qui simplifie la forme de façon très graphique. Celle-ci est cerclée de noir, à la manière des fauves, mais avec une liberté de traitement jamais observé.

En 1911, Kandinsky sympathise avec le peintre Franz Marc. Déçus par les tensions permanentes de la NKV qui refuse certaines oeuvres jugées trop audacieuses du peintre, Kandinsky et Marc quittent le groupe, suivis par d'autres artistes.
Tous deux fondent "Le cavalier Bleu" qui exposera pour la première fois à Munich en 1911.

Caspar David Friedrich


Le plus romantique des peintres allemands est né un 5 septembre 1774 à Greifswald en Poméranie.
Il suit une très rigoureuse formation en peinture, dessin et architecture auprès d'un professeur d'université. Mais surtout, il apprendra à "regarder avec l'esprit", une idée qui deviendra importante dans sa pensée et dans son oeuvre.

Friedrich poursuit sa formation à Copenhague, puis s'installe à Dresde, ville marquée par l'influence française. Il expose avec succès.
Engagé contre l'occupation Napoléonnienne, Friedrich ajoute des motifs symboliques à son oeuvre. Nommé professeur à l'académie de Dresde, il partage son temps entre son atelier, son foyer, ses cours et des voyages du coté de la Baltique.
Vers 1827, le peintre tombe gravement malade, et s'enferme dans une solitude à peine ponctuée par la visite de ses amis. Paralysé en 1835, il s'éteint en 1840. Il faudra attendre 1906 pour qu'une exposition à Berlin fasse redécouvrir ce peintre qui aimait tant dire "l'art est infini".
Influencé par une enfance pieuse, Friedrich est nourri par des idées mystiques, et par la communion entre l'homme et la Nature. Pour lui l'art est spirituel, l'atelier une cellule de méditation.
"L'homme n'est pas le but inconditionnel de l'homme mais le divin. L'infini est son but. Il doit tendre vers l'art, et non vers l'artiste. L'art est infini, alors que tout le savoir et les capacités de l'artiste sont finis."

Toute fois, il se marie, et sa vie familiale le ravit. Les personnages féminins font leur apparition dans ses oeuvres, avec poésie et discrétion, pour sublimer une vision romanesque de l'amour. C'est aussi à partir de cette époque que la représentation humaine se fait plus présente dans les oeuvres du maître, mais sans être le sujet. Le sujet c'est la Nature, les éléments.

Vers la fin de sa vie, dépressif, Friedrich peint des paysages crépusculaires, sans doute les plus beaux de l'Art. Visions nocturnes, auréolées de mystère, mais aussi délicat passage vers la nuit, la mort (on sait que le peintre avait fait plusieurs tentatives de suicide), Friedrich refuse le pur naturalisme : "l'art doit naître à l'intérieur de l'homme, il dépend de ses valeurs morales et religieuses".
Ses marines tourmentées reflètent ses états intérieurs, la maladie. Une fois de plus, le peintre veut immerger son spectateur dans l'absolu de sa vision. Ses compositions resserrées sur le sujet (et en cela assez novatrices dans l'Art, ce qui lui vaudra l'admiration de ses pairs, mais aussi des critiques acerbes) tendent aussi vers ce but


Si les compositions de Friedrich sont soigneusement étudiées, la vibration subtile de la couleur explose. Maitre des ambiances de pénombre, le peintre magnifie la nature, la sublime par une vision exaltée.
Les représentations humaines sont rares, les personnages toujours dessinés de dos, comme contemplant l'infini d'un ciel, d'une mer démontée ou d'une forêt mystérieuse.
"Je dois me donner à ce qui m'entoure, m'unir aux nuages et aux rochers, pour être ce que je suis, j'ai besoin de la solitude pour parler avec la Nature," écrit-il en 1817. Après la chute de Napoléon, les poètes, artistes et philosophes allemands rêvaient de construire un
monde meilleur, libre, novateur. Hélas, les réalités politiques furent autres. Déçu, Friedrich abandonna toute activité politique pour se recentrer sur son art.

Parler de Friedrich est presque un sacrilège. Il faut juste rentrer dans ses oeuvres, les contempler et se laisser emporter par une méditation sur le temps qui s'arrête entre le devenir et le disparaître ou se laisser aller à une douce rêverie sur l'infinie beauté et le plus vibrant des silences.

Basquiat, king, heroe and street 2/2


Je commence un tableau, puis je le termine. Quand je travaille, je ne réfléchis pas sur l’art. J’essaie de réfléchir sur la vie.

Dans les années 90, on ne parle plus de la peinture de Basquiat. Autre décennie, autre peinture. En 1992 est toutefois organisée une grande rétrospective Basquiat. Depuis il n’y a plus eu de confrontation avec l’œuvre de celui que l’on aime classer parmi les néo-expressionnistes américains.


En 1996, Julian Schnabel, avec le film Basquiat transforme le peintre new-yorkais en mythe, celui de l’artiste drogué, trop star et pas assez peintre.

Pourtant la peinture de Basquiat, si elle semble facile, reste aussi d’une fraîcheur inégalée. Elle fait le pont entre graffitis et figuratif, et son ton libre, provocant est à l’origine du courant d’art nommé en France « la nouvelle figuration libre ».

Basquiat est aussi le premier peintre noir de l’histoire américaine à rentrer au panthéon des artistes. Son œuvre parle aussi de sa condition raciale. On le sait fasciné par les grands athlètes qu’il peint dans ses premières œuvres (Sugar Ray Robinson, Joe Louis, Jackie Robinson), par Charlie Parker, Miles Davis ou Jimi Hendrix. Les héros de Basquiat sont souvent victimes du mépris social et vivent de façon effrénée et sauvage.

Basquiat n’a pas de formation picturale classique. On sait qu’il copiait son manuel d’anatomie, et qu’il était fasciné par Picasso auquel il dédie 2 tableaux. Mais le jeune artiste est curieux et se passionne aussi bien pour Léonard de Vinci que pour l’art rupestre, l’histoire de noirs ou des grands révolutionnaires.

Basquiat aime représenter la vie urbaine, dans ce qu’elle a d’horrible et d’incohérent. Pour cela, il détruit toute la cohérence picturale, que l’on trouve encore chez Picasso ou Dubuffet auquel il a été souvent comparé.

Dubuffet a aussi eu une période représentation de la vie urbaine, on sait qu’il s’est inspiré des graffitis de Paris pour ses œuvres. Mais Dubuffet n’a pas fait l’expérience de la rue et n’a jamais peint sur un mur.

L’art de Basquiat est un art de révolte.

On sait qu’il peint ses fonds à l’acrylique, les superposant. Ensuite il place ses éléments symboliques : la couronne (allusion à la mission sacrée du peintre), les figures humaines schématisées et qui vont de plus en plus ressembler à des squelettes, des éléments urbains (voitures, avion, panneau de circulation, maison), inscriptions reprenant des jeux de mots ou des affirmations héritées de la période Samo, des croix, et le signe copyright qui ici est une allusion à l’illégalité de l’art de rue. Le dessin est schématique, voire enfantin, mais immédiatement lisible. La touche est parfois agressive, vive, les expressions révèlent la fureur, la colère.


Basquiat réalise aussi quelques portraits, emportés et iconoclastes. Mona Lisa en 1983 est une reprise très personnelle de la célèbre Joconde, non sans un certain humour. Mais ses auto-portraits renvoient l’image d’un être tourmenté entre solitude, déchirements et la lutte pour « vivre dans la différence ». Vers la fin de sa courte vie, le peintre va rechercher son inspiration du coté des arts premiers, dans le vaudou et un certain mysticisme.

Mais il gardera toujours Art singulier, sans équivalent, Basquiat échappe aux classifications théoriques. S’il n’a pas influencé la génération des artistes suivantes dans son pays, il a permis d’inspirer en France et en Europe le toujours actuel courant de l’expression libre, qui va s’inspirer aussi bien de l’art de rue que de maîtres plus officiels. Surtout sa liberté de ton, son refus de toutes conventions picturales, et l’invention d’un véritable langage symbolique va une fois de plus questionner la peinture, notre perception de l’image, et nous renvoyer à « l’indicible en nous ».cette lisibilité, dans un art qui se destine à tous, et qui peut être pratiquée par tous. S’il instaure son propre vocabulaire pictural, qu’il parsème de mots parfois énigmatiques, son univers est apparemment simple, les couleurs sont vives et tranchées. Il serait faux de voir en Basquiat un « primitif moderne ». Sous l’apparente lisibilité, se cache une critique sévère de la société américaine, trop consumériste, trop raciste aussi. Des allusions à l’art africain ou aux grandes figures comme Malcom X ou Martin Luther King sont présentes dans son œuvre. Mais Basquiat n’a pas un regard optimiste sur les relations entre les différentes communautés de son pays.

Je n’écoute pas ce que disent les critiques d’art, je ne connais personne qui ait besoin d’un critique pour découvrir ce qu’est l’art.

Basquiat, king, heroe and street 1/2


Depuis l’âge de 17 ans, je rêvais de devenir une star. Je songeais à tous mes héros, Charlie Parker, Jimi Hendrix… J’avais une image romantique de la célébrité.

Jean-Michel Basquiat est sans doute l’un des rares grapheurs des années 80 à avoir connu un succès fulgurant. Sans doute à cause de sa personnalité, son charisme et ses innovations artistiques.

Sa fébrilité, son parcours, et sa mort prématurée ont contribué à transformer l’artiste en mythe. La peinture néo-figurative de Basquiat est aussi arrivée à un moment où le grand public délaissait les galeries d’art présentant des œuvres conceptuelles et minimales trop hermétiques.


Jean-Michel Basquiat naît le 22 décembre 1960, à Brooklyn. Sa mère l’emmène souvent visiter les musées de New-York. A 7 ans, après un accident de circulation, il subit l’ablation de la rate. Sa mère lui offre un livre d’anatomie, qu’il étudie passionnément. Après le divorce de ses parents en 1968, Basquiat est confié à la garde de son père, avec lequel il ne s’entend pas. Mauvais élève, il se fait renvoyer des écoles et n’obtiendra pas de diplôme.

Seul intérêt pour le dessin et pour la fondation de SAMO avec un ami d’école graffiteur. Nous sommes en 1977 et les murs de Soho et de Brooklyn sont recouverts de sentence. Dérivé de l’expression ‘ « this same old shit », SAMO veut combattre une société trop matérielle.

Après une brouille avec son comparse Al Diaz, Basquiat taggue un peu partout « SAMO is dead ». Il a 18 ans, quitte définitivement le domicile paternel et vit chez des connaissances.

Pour gagner de l’argent, il vend des collages ou des tee-shirts peints. Avec son iroquois blond, il devient une figure de New-York et fréquente les clubs les plus en vue.

Il fonde aussi un groupe d’art noise music, Gray, rejoint par le futur acteur Vincent Gallo, et se produit au célèbre Mudd Club, entre quelques célébrités nommées David Bowie, Brian Eno, Iggy Pop ou Klaus Nomi.

Très vite le succès va arriver. Avec un autre artiste des rues, Keith Haring, il participe à la première grande exposition « Times Square Show » présentant des œuvres de jeunes artistes, qu’ils soient grapheurs ou autres. Son organisateur Diego Cortez sera le premier agent de Basquiat.

S’en suite en 1981 une autre exposition « New-wave/New York » qui mêle grapheurs et musiciens (Blondie, Alan Vega, David Byrne). Basquiat présente 15 œuvres qui frappent par leur mélange de simplicité, la présence de sigles et le thème majeur dans l’œuvre de Basquiat la ville.



Presque du jour au lendemain Basquiat devient célèbre. Il abandonne alors le pseudonyme de Basquiat pour signer de son nom. En 1982, sa galeriste lui organise sa première grande exposition personnelle. S’en suivent des invitations à Los Angeles, puis à la Documenta VII de Cassel (grande manifestation d’art contemporain).

Cette même année il rencontre Andy Warhol. Une collaboration amicale et artistique qui durera jusqu’en 1985. Pourtant si des tensions existent entre les deux artistes, Basquiat restera inconsolable après la mort de ce « père spirituel ».


Sur l’initiative d’un galeriste, les deux artistes vont réaliser 15 collaborations qui seront exposées en 1984. Les deux artistes travailleront à d’autres collaborations. Basquiat peint sur les sérigraphies de Warhol. Hélas les critiques ne sont pas élogieuses : manque de cohésion, facilités et thèmes éculés. Alors que l’on pouvait attendre une rencontre forte à travers ces deux personnalités, aussi célèbres que médiatiques, les résultats décevants et les conceptions différentes du rôle de l’artiste devaient éloigner les deux vedettes. Si Basquiat rêve d’être reconnu en tant que peintre, Warhol se contente d’être une star.

1985 est l’année Basquiat. Avec plusieurs grandes expositions, des ventes records, Basquiat qui change pour la 3ème fois de galeriste est partout. Il peint un panneau mural pour un club en vogue de New-York et voyage à travers le monde de Hong-Kong à l’Italie. Une première rétrospective est organisée en 1986.

Mais Basquiat commence à perdre pied dans un monde de l’art toujours plus exigeant. Après la mort de Warhol, il se sépare de sa compagne. Il s’intéresse aussi à l’art africain, à la culture égyptienne et se met à réfléchir sur son identité raciale. Il se fascine aussi pour le vaudou.

Mais Basquiat est sujet au doute. Il déclare tantôt qu’il veut abandonner la peinture pour l’écriture ou pour la musique et dit vouloir s’installer en Côte d’Ivoire. Consommant alcools et drogues, Basquiat est retrouvé mort d’une overdose dans son atelier de New-York le 12 août 1987. Il avait 27 ans.

Les critiques ont voulu voir dans ces dernières œuvres, plus sombres, un pressentiment de mort, oubliant que c’est l’un des thèmes du peintre : squelettes, tête de morts et le mot « Death » sont récurrents dans l’œuvre de Basquiat.


Lucian Freud, le corps et le repos


"L'artiste a pour tâche de susciter le malaise chez l'être humain, et pourtant nous sommes attirés vers une grande oeuvre par une alchimie involontaire, comme le chien qui flaire une odeur. Le chien n'est pas libre, il n'y peut rien, il flaire et l'instinct fait le reste".

Lucian Freud est né le 8 décembre 1922, à Berlin. Il est le petit-fils de Sigmund Freud le père de la psychnalyse. Sa famille s'installe en Grande Bretagne en 1933. Lucian Freud suit une formation de peinture et de dessin dans une école d'art et publie ses premiers dessins dans la presse en 1938. Il obtient cette même année la nationalité britannique.
Freud connait le succès dès 1950. Il remportera des prix internationaux et représentera son pays à la Biennale de Venise en 1967.
Lucian Freud est le peintre du corps et de repos. Il aime se comparer à un biologiste et recherche le réalisme parfois cru de l'intimité. Ses modèles sont ses amis, les gens de sa famille.

"Je peins les gens non pas à cause de ce qu'ils sont, ni tout à fait en dépit de ce qu'ils sont, mais selon la manière dont ils sont" dit-il.
Observateur scrupuleux mais sans complaisance, Freud est avant tout un dessinateur : "le dessin est une défense contre l'idée reçue de la peinture". Il ne cherche pas à se lancer dans l'abstraction, mais peindre la dissemblance. Si il emprunte au surréalisme, on le sait un grand admirateur de Dali, Miro et Chirico, il va developper petit à petit sa touche personnelle.
Il innove en cadrant ses portraits de façon serrée. Le visage envahit le tableau. Les volumes sont privilégiés, et sans sentimentalité, Freud représente "ce que l'on ne montre jamais", les rides, les poches de graisses, les irrégularités du visage, par un travail d'ombre et de lumière subtile.
Il accentue ainsi, déforme les traits, à une époque où l'art abstrait est de mise (années1950), et où les peintres figuratifs recherchent la distorsion abstraite.


Sa rencontre en 1952 avec le peintre Francis Bacon, va influencer sa peinture. Bacon fait des oeuvres "explosives" et dérangeantes. Liés par une profonde amitié, les 2 artistes vont se répondre picturalement et maitriser ce qui fera leur originalité.
Freud ne se limite plus aux portraits, mais inventorie le corps. La ligne devient forme, le cadre s'élargit, et les positions des modèles ne sont plus figées dans des attitudes convenues.
Qualifié de peintre réaliste (à l'instar d'un Courbet en son temps), Lucian Freud ne cherche pas le réalisme. Il cherche le décalage, l'étrange. Freud ne pose pas un modèle objectif sur ses modèles. Il peint des situations inédites, dans le cadre de son atelier de travail.
Au fil des ans, sa matière picturale se fait plus riche. Il élargit la gamme de ses couleurs. Jusqu'aux années 1960, Freud utilise une palette de tons rompus, passés. Aorès 1960, sa touche se fait plus vigoureuse, sa palette s'élargit aux rouges.
Freud cherche à capter des émotions subtiles : la surprise de l'intimité, le trouble entre vulnérabilité et aisance.

Si il fait quelques infidélités aux corps et au portrait pour peindre un paysage urbain, un cheval ou un arbre, l'artiste revient toujours à la matière humaine. Au milieu des années 70, il utilise le pigment dit blanc de Cremmitz, contenant une forte quantité d'oxyde de plomb. Un blanc lourd crayeux qui va lui permettre de modeler des nus dont les poses peuvent sembler érotiques, mais qui ne le sont pas. Plutôt saisis dans une intimité, un demi-sommeil, et une animalité revendiquée par l'artiste.
"Ce qui m'intéresse vraiment chez les gens, c'est leur coté animal. C'est en partie pour cela que j'aime travailler à partir de leur nudité".
Freud ne recherche pas un canon de beauté classique chez ses modèles. Il peint des personnes minces ou grosses, jeunes ou âgées, sans aucun tabou. "Je peins des corps ordinaires, avec la même attention que l'on porterait à des monstres si ils se montraient en public" dit-il avec malice.
Et c'est en cela que sa peinture est unique, dérangeante pour certains. Freud montre ce que l'on ne montre pas, avec un éclairage froid qui désincarne la chair pour en faire matière presque morte.

A l'écart des grands courants artistiques, Lucian Freud n'entre dans aucune catégorie pour le critique d'art. Fruits d'un tempérament individuel, l'oeuvre est ce qu'elle est.
"Qu'est-ce que j'attends d'un tableau ? Qu'il étonne, trouble, séduise, persuade."

Hervé Di Rosa, l'art composite



"L'art modeste n'est pas un concept, c'est une notion, qui consiste à regarder autrement ce qui nous entoure. Nous vivons parmi des milliers d'objets et d'images que nous négligeons. Parmi eux se trouvent pourtant des chefs-d'œuvre. Tout dépend de la façon dont on les observe. Je considère qu'il n'y a pas d'artistes modestes, il n'y a que des collectionneurs.»

Peintre fondateur de la Nouvelle Figuration libre, Hervé Di Rosa (né en 1959 à Sète) montre qu'il sait renouveler son travail. Depuis 1992, il découvre les univers artistiques du monde entier. Ses pas le mènent en Asie, en Europe, en Afrique. Véritable voyage initiatique, "tour du du jour en 80 mondes" comme le disait l'écrivain argentin Julio Cortazar, Di Rosa enrichit à chaque périple ses connaissances pour devenir dit-il "la conscience du monde entier".

On connaissait Di Rosa comme l'un des principaux acteurs du courant Nouvelle Figuration Libre. Il se racontait alors dans ses toiles, en y inventant un langage particulier, se mettant en scène avec humour (Dirosoland, Dirozoo, Dirosapocalypse etc.), et pointant à travers ses toiles les illusoires langages publicitaires, et l'ultra consommation galopante. Le succès permet à Di Rosa de voyager, et très précisément d'aller à la recherche des techniques étrangères qui vont alimenter sa propre création.
"Mon style, c'est d'avoir tous les styles. Je ne veux pas être un artiste, mais être tous les artistes, les bons, les minables, les généreux et les autres".

Le processus de l'actuelle création du plasticien passe par les découvertes, et le métissage des techniques et expériences. Il s'initie aux techniques des laques extrêmes-orientales, à la peinture d'icônes (peinture extrêment codifiée, incluant un savoir faire en dorure), mais aussi à la sculpture de masque au Ghana et au Cameroun, aux bas reliefs. De son travail avec les artisans naissent des techniques nouvelles, des formes nouvelles. Di Rosa délaisse la peinture pour la sculpture.
Ses derniers travaux, avec des fondeurs de Foumban, dans l'ouest du Cameroun reprennent les "dirodessins" pour les traduire en volume. Les formes sont d'abord modelées en terre puis le minérai (un alliage de matériau de récupération soigneusement trié) est fondu selon des techniques ancestrales et particulièrement inventives puisqu'elles permettent un recyclage poétique des matériaux.

Di Rosa se veut porteur d'une nouvelle vision de l'art qui abolit les frontières, qui associe les techniques traditionnelles et les formes contemporaines, les savoir-faire et les matières. C'est ce qu'il appelle l'art modeste, mélange d'artisanat d'art, d'art populaire, d'art brut et d'art primitif. "L'art modeste ne doit être porteur d'aucun message, juste dire aux gens qu'ils peuvent aimer des choses pour elles-mêmes.»
Fondateur du musée de l'art modeste à Sète, en collaboration avec le collectionneur Bernard Belluc, Di Rosa redonne une place d'honneur aux arts dis mineurs, et à l'objet qu'il soit artisanal ou industriel, du moment qu'il est chargé d"une émotion.
Vision généreuse, fraternelle, pour tresser les liens entreles cultures et les hommes, bien loin des idéologies protectionnistes qui courent ici et là sur notre vieux continent. Une façon personnelle d'ouvrir très grand la porte jamais vraiment close de l'humanisme.
Après Miami, Di Rosa a installé son atelier à Paris, dans le quartier métissé de Barbès. Il devrait repartit au vietnam pour y apprendre les techniques des panneaux de laques incrustés de jade. Un jour, aussi, il aimerait organiser, en France, dans une grande biennale de l'art modeste regroupant des artistes et artisans du monde entier, des oeuvres anciennes ou récentes de tous les continents.

Bibliographie
- Hervé Di Rosa in Mexico,Décima Etapa, aux Editions Trilce
- Bons Baisers de Jean Seisser, Editions du Panama

J. Pollock - Action Painting


"Regarder simplement un tableau donne du plaisir. C'est comme regarder des fleurs, on ne leur cherche pas un sens. "

Né en 1912, celui que l'on surnommait "Jack the ripper" allait révolutionner la peinture, en la libérant de toute contrainte formelle. On connaissait les abstractions du début du 20ème siècle. Elles étaient quand même intellectualisées et très codées : on y retrouvait soit la géométrie (cubisme, Malévitch), soit la composition presque classique (Kandinsky), mais jamais une spontanéité, un élan, une vitesse.
Certes Delaunay avait bien tenté de représenter la vitesse, tout comme Duchamp, mais les compositions restaient encore formelles.

Pollock suit une formation picturale à New-York. Il se passionne pour l'art de la fresque et commence à gagner sa vie comme peintre mural. Vivant vite, aimant les voitures, l'alcool et les drogues, Pollock passera sa courte vie entre cure de désintoxication, création, destructions de peinture, une vie faite de hauts et de bas. Ironique, faisant peu de concessions, Pollock allait devenir une icône après sa mort tragique dans un accident de voiture. L'Amérique le consacre comme son grand peintre contemporain, même si il décède dans la misère, il incarne un "way of life" libre, le James Dean de l'art.

Mais n'oublions pas que Pollock était aussi imprégné de culture indienne et de chamanisme. En 1947, il abandonne la figuration pour laisser place à une peinture intuitive où le geste même fait l'oeuvre : le dripping.
Du mot anglais "drip", égoutter, c'est une méthode de peinture dite gestuelle, rendue possible par l'apparition des premières peintures acryliques et vinyliques, plus fluides, diluables à l'eau.
Influencée par l'écriture automatique, la peinture gestuelle veut traduire l'énergie déployée, sans contrainte de représentation formelle. Ici seule la couleur et le geste priment. Autre innovation, l'artiste ne peint plus verticalement, sur chevalet, mais horizontalement, à même le sol (rejoignant ainsi des pratiques ancestrales, certains peuples dit primitifs peignant déjà horizontalement).

Pollock cherche à retrouver l'énergie première, la libération totale des forces intérieures. Le pinceau est remplacé par un bidon rempli de couleur et percé qu'il va promener sur sa toile. Il travaille debout, en se déplacant au dessus du support selon un ryhtme intérieur. La trace ou coulée de peinture traduit l'amplitude du mouvement et le parcours du peintre.
En superposant les couches de peinture ainsi projetée, Pollock obtient des effets de matière inédit.
"il me semble possible de contrôler la coulée de peinture, dans une large mesure, et je ne l'utilise pas… je n'utilise pas l'accident… parce que je nie l'accident. »

Pollock influencera toute une génération de peintres, comme l'américain De Kooning et tout le mouvement que l'on nomme "Expressionisme abstrait". Le dripping est devenu une technique picturale que les artistes incorporent dans leur peinture, au même titre que la perspective, la couleur ou la forme.