Wikipedia

Résultats de recherche

26 févr. 2010

Rothko, la puissance méditative du tableau


Si je devais placer ma confiance dans quelque chose, ce serait dans la psyché du spectateur, sensible, libre de tout modèle conventionnel. Je n'aurais aucune idée de la manière dont il pourrait user de ces images pour les besoins de son esprit. Mais que ces deux choses, besoin et esprit, sont présentes, on est garanti qu'il y a un échange vrai."

Considéré comme l'un des plus grands peintres américains, Mark Rothko fut l'un des artistes les plus avant-gardistes d'une génération qui allait profondément modifier la peinture américaine. A travers ses toiles immenses, le peintre a toujours souhaité définir une relation "sensorielle" avec le spectateur.
Apprécier Rothko ne peut pas se faire à travers des reproductions, juste présentes ici pour donner une idée. Le format imposant, l'organisation des tableaux font partie de cette recherche de complicité et de porte ouverte sur un monde à s'approprier chers à l'une de figures de ce que l'on nomma l'expressionnisme abstrait.

De son vrai nom Marcus Rothokowitz, le peintre est né le 25 septembre 1903 à Dvisnk en Russie.
Sa famille émigre aux Etats-Unis en 1913 et s'installe dans l'Oregon. Un an plus tard le père de Rothko décède.
Après des études à la prestigieuse université de Yale, Rothko suit des cours de dessin et puis de peinture à l'Art Students League. Il donne en 1929 des cours de dessins à Brooklin, sa vie matérielle est assez difficile. Il expose pour la première fois en 1933. De 1925 à 1946, sa peinture emprunte à la mythologie et au surréalisme. En 1935, il fonde le groupe TEN, avec lequel il exposera jusqu'à la dissolution du groupe en 1940, année où il simplifie son nom.
A partir de 1944, sa peinture évolue vers l'abstaction. En 1947, il peint des "multiforms" qui vont aboutir à des formations chromatiques rectangulaires caractéristiques de son oeuvre.
En 1957, il réduit sa palette. Exposé et reconnu, Rothko enseigne dans diverses écoles d'art et universités. Rothko honore également des commandes murales, et surtout en 1964, aménage la chapelle de Houston, qui restera sans doute sa plus importante réalisation. Il fait une donation à la Tate Gallery en 1964 qui lui ouvre une salle deux ans plus tard.
Le 15 février 1970, Rothko, très déprimé et affaibli par la la maladie, se suicide. Un an plus tard, la chapelle Rothko est inaugurée.

Je ne développerai pas ici la première période des peintures de Rothko, qualifiées de "mythologiques".
Influencé par les surréalistes (les grands noms du surréalisme avaient fui la guerre pour s'installer à New-York), Rothko, homme érudit et passionné de philosophie, chercha dans ses premières peintures à synthétiser abstraction et surréalisme.


En 1946, Rothko abandonne les formes figuratives pour peindre ce qu'il nomme des "multiformes". Des taches de couleurs, inspirées de formes concrêtes, peintes en transparence, par de fines couches de peinture superposées.
Il aggrandit aussi le format de ses tableaux, et limite sa palette à des tons vifs de jaunes et de rouges. L'artiste fabrique lui même ses chassis et ses couleurs. Il mélange des pigments à la sous-couche de colle, et utilise des couleurs très diluées qu'il applique très rapidement, pour trouver une luminosité intérieure. Très vite, il va opposer des tons clairs à des tons sombres, pour renforcer une tension dramatique. La forme se simplifie au point de ne devenir que des rectangles, mais les applats de couleurs semblent flotter, renforcés par les oppositions chromatiques. Rothko parle de "tableaux dramatiques".
Il ne donne plus de nom mais un numéro à chaque tableau, et s'occupe de régler l'éclairage des salles où il expose, privilégiant une lumière tamisée.
Au milieu des années 50, le peintre expose régulièrement et suscite l'admiration des critiques. Mais il se sent incompris. Il situe ses tableaux dans une démarche spirituelle : ses formes sont des organismes vivants, se situant au-délà du matériel. "Mon art n'est pas abstrait, il vit, il respire". Il refusera désormais de s'exprimer sur sa peinture, mais livre quelques indications précieuses : "Il existe deux caractéristiques dans mes peintures : soit les surfaces sont expansives et elles tendent vers l'extérieur dans toutes les directions, soit elles se concentrent et renvoient toutes les directions vers l'intérieur".

Rothko ne se revendique pas non plus comme peintre de la couleur qui ne reste qu'un moyen pour exprimer des émotions, et devenir des surfaces dotées de force mystique. Petit à petit, pour échapper à cette étiquette de coloriste, il restreint sa palette à des tons sombres, bruns, noirs, bleus, plus mystérieux.
Il faut vraiment voir un tableau de Rothko pour comprendre toute la subtilité et la maitrise du peintre. Entre chaque applat de couleur, les fines couches superposées laissent apparaître des sillons, des fissures, et un étonnant travail de matière. Un tableau dans le tableau, qui donne aux oeuvres du peintre une présence extrêmement forte. Tout comme Yves Klein en France, Rothko cherche à immerger son spectateur dans un univers où la méditation et la réflexion seront les premiers pas vers une quête spirituelle.


En 1965, Rothko se voit confier l'aménagement (dont la réalisation de grandes peintures murales) de la nouvelle chapelle de Houston. Il emménage alors à Houston dans un atelier de 15m de haut, qu'il installe comme la future chapelle. Il prévoit un plan orthogonal, de façon à ce que le spectateur soit entierement entouré des peintures, avec une lumière diffusée par une coupole et tamisée. Il insiste sur la sobriété du bâtiment, et sur un mobilier simple et minimal.
Rothko, agé de 62 ans, se fait aider par des assistants. Les oeuvres sont montées sur chassis, peintes à l'huile très diluée. Quatorze peintures murales sont réalisées, dont trois triptyques. Les tons vont d'un brun sombre dilué à un noir opaque. Rothko ne choisit pas ces tons au hasard; il veut que le regard du spectateur ne se focalise pas sur un point précis pour attirer celui-ci vers l'infini, "au seuil du divin".
En 1966, Rothko aménage sa propre salle à la Tate Gallery à Londres. Il peint 9 segments muraux qu'il dispose à sa guise, avec un éclairage tamisé. Rothko souhaitait que sa salle soit un refuge pour le spectateur, et une invitation à la contemplation que le peintre conçoit comme un dialogue. Un univers de silence dans une atmosphère de repos et de méditation.
En 1968, la santé du peintre se détériore. Contre l'avis de ses médecins, il continue à consommer alcool et tabac de façon abusive. Il se sépare de sa compagne et se retrouve seul. Souvent déprimé, l'artiste consomme aussi des psychotropes. Il se suicide le 25 février 1970, après avoir avalé une dose massive d'anti-dépresseurs. Il avait 66 ans. Ses derniers oeuvres, peintes à l'acrylique mate sur papier sont sombres, sans cette puissance sensorielle qui avait fait le succès du peintre.
Après des querelles juridiques sur la succession de l'artiste, la Fondation Rothko voit le jour en 1974. Selon le voeu du peintre, elle soutient des jeunes artistes dans le besoin et a prête partout dans le monde les 600 oeuvres laissées par l'un des plus grands peintres de l'art dit moderne.