
« Je tente de trouver des solutions pour moi-même, c'est ma thérapie personnelle. Le fait que ce soit de l'art me protège - l'art me donne le droit de faire ces choses ».
Ma première "rencontre" avec Sophie Calle s'est faite en 1998. En farfouillant dans le rayon Art d'une librairie bien connue, je tombe sur ce petit livre : Régimes Chromatiques où l'artiste - pour suivre l'héroine du roman de son ami Paul Auster se met à manger chaque jour des aliments d'une seule couleur.... Et photographie ses repas. Mais ne nous y trompons pas, il est peu probable que Sophie Calle se soit gavée pendant une semaine de vert, de rose, de jaune, de rouge.
Car de sa "vie" elle a fait son art. Nous sommes ici dans le domaine de l'auto-dérision, du conceptuel porté à son paroxysme et d'une bonne dose de provocation qui rend Sophie Calle si attachante, ou si dérangeante selon la sensibilité.
Tous les moyens sont bons = photographie, vidéos, écriture, installations, mais surtout un solide sens de la mise en scène qui en fait un personnage original, audacieux (la prem's à le faire).
Ainsi, elle se met à suivre des inconnus dans la rue et à les photographier "pour le plaisir" dit-elle. Elle demandera à sa mère quelques années plus tard d'engager un détective pour la faire suivre elle (la Filature), se fera embaucher dans un hotel à Venise comme femme de chambre pour photographier les poubelles et les lits défaits des occupants.
L'oeuvre qui la fait découvrir est un petit chef d'oeuvre d'humour noir = A ces aveugles de naissance elle demander : Quelle est votre vision de la beauté ? Quelle est votre vision de la monochromie ?.
Et ainsi de suite
Mettre en scène sa vie, celle des autres, se raconter et raconter, sans prétention pour celle qui ne se reconnait pas comme une artiste ("un heureux hasard"). Finalement le concept n'est pas si novateur - mais Sophie Calle pointe aussi avec une certaine malice les interstices de notre société.
Joueuse celle qui a représenté la France à la Biennale de Venise en 2007, 3 ans après une grande retrospective au Centre Beaubourg ? Pas forcément des jeux innocents, mais une mise en danger d'un soi qui est peut-être le notre. Sophie Calle s'autorise, sans apparentes limites ce que nous ne nous autorisons pas : ranger ses cadeaux d'anniversaire dans une bibliothèque sans les ouvrir, appeler au hasard la cabine téléphonique du pont Garigliano à Paris (donc s'appeler puisqu'elle a dessiné cette cabine), ou lors de Nuits Blanches, demander à ses visiteurs de la maintenir éveillé en lui racontant une histoire. Le jeu laisse sa place au hasard mais aussi à une certaine vision des rapports entre l'artiste, les autres, et l'oeuvre qui nait aussi des autres. Ainsi dans son dernier ouvrage "Prenez-soin de vous", elle fait lire un email de rupture à 107 femmes d'horizons divers qu'elle a fait photographier par JB Mondino.
Sophie Calle est née en 1953 à Paris, son père fut l'initiateur du Carré d'Art à Nimes. Elle dit elle même s'être engagée dans des activités artistiques "par jeu".
Bibliographie
- son dernier ouvrage "Prenez Soin de vous" aux éditions Actes Sud
- le catalogue de l'exposition "M'as-tu vue" aux éditions du Centre Pompidou
- "Doubles jeux, coffret reprenant ses principaux travaux, aux Editions Actes Sud.
- et enfin l'ouvrage de référence, aux PUF "Sophie Calle, l'Art caméléon" par Anne Sauvageot. L