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28 nov. 2011

Edvard MUNCH


L'œil Moderne – jusqu'au 9 janvier 2012 – Centre Beaubourg

Considéré comme un peintre intimiste, tourné vers la vie intérieure, Munch est souvent considéré comme un grand artiste du 19ième siècle, symboliste ou expressionniste.
C'est oublier toute la richesse de l'œuvre de ce peintre né en un 12 décembre 1883 à Loten (Norvège), son intérêt pour le cinéma et la photographie.
La très belle exposition du Centre Pompidou nous permet de découvrir les faces cachées de ce peintre moderne.

Munch grandit à Oslo (Christiana). Une enfance marquée par la mort de sa mère et de son frère aînée, et par la maladie – dépression ou mélancolie comme l'on disait à l'époque – de deux de ses sœurs. Admis à l'école royale d'Art de Norvège, il suit un enseignement artistique complet, et reçoit une bourse qui lui permet d'aller travailler à Paris en 1889 où il découvre la peinture des impressionnistes et la photographie. Mais Munch cherche à affirmer son style, et peindre « les impressions de son âme).
En 1892, il est invité à Berlin, où ses peintures font scandales. Il se lie à un cercle intellectuel composé d'auteurs et de peintres d'origines scandinaves, dont l'écrivain Stringberg. Il s'initie aussi à la gravure et à l'eau forte.
Si il choisit de rester vivre à Berlin, Munch voyage souvent : Paris, Venise, Florence, Rome avec sa compagne Tulla Larsen. Mais les relations avec Tulla sont difficiles, et Munch, pourtant reconnu comme peintre souffre de dépressions. Il est hospitalisé en 1908.
En 1916 Munch achète une maison près d'Oslo, où il vivra, assez solitaire jusqu'à sa mort en 1944.
Considéré par le régime nazi comme artiste dégénéré, Munch laissera un millier de tableaux, près de 4500 œuvres sur papiers. En son honneur, la ville d'Oslo construit le musée Munch qui fut inauguré en 1963.

Si il y a chez Munch un coté sombre, dépressif, il ne faut pas oublier que Munch est aussi un homme qui voyage énormément, lit, et a toujours entretenu des relations permanentes avec toute l'intelligentsia du 20ème siècle. Très vite, il prend conscience de l'importance des « nouveaux médias », la photographie et le cinéma. On retrouve d'ailleurs dans certaines de ces œuvres une approche cinématographique : composition dynamique, où le « plan rapproché » met en valeur le sujet, par des effets de perspectives. Munch n'hésite pas à utiliser la perspective inversée, le gros plan, ou le dépassement des marges du tableau. Des techniques qui nous semblent acquises aujourd'hui, mais qui étaient novatrices au début du 20ième siècle.
Proche du théâtre, Munch met en scène, dans des toiles rarement présentées au public, des hommes (des soldats, des paysans ?) marchant dans la neige, et qui me semblent encore très actuelles, par le message politique qu'elles envoient : paupérité, lutte des classes, ou simple condition de l'homme. Certains visages, effrayant, portent l'expression de la mort.
Des œuvres qui tranchent avec l'univers intimiste ou psychologiques du peintre du Cri. Ainsi, les thèmes des vampires, de l'enfant malade, de l'hôpital ou des jeunes filles sur le pont sont déclinés tout au long de sa vie. Les visages sont renvoyés à des formes géométriques audacieuses, et les couleurs sont riches de mauves, de noirs, l'éclairage est soigné.

Munch a peint quelques autoportraits mais c'est surtout au travers de la photographie qu'il se représente, à tous les âges de sa vie. Développant lui-même ses photos, il utilise quelques « trucages » (variations du temps de pose) pour renforcer l'état d'âme du moment. Bien souvent, l'artiste se représente à coté d'une toile qu'il vient de peindre, malice ou fierté du peintre ?
Il tournera aussi quelques petits films à Paris, jouant sur l'architecture et la vie urbaine.

Le travail du peintre tourne autour du regard et de la lumière. En 1930, à 67 ans, Munch, une hémorragie dans le corps vitré de l'œil droit altère sa vue. Avec une précision méthodique, Munch va dessiner pendant 3 mois ce que voit son œil malade. Introspection de la vision, au delà de l'autoportrait et analyse des formes que son œil perçoit, où revient l'étrange figure d'un corbeau.

Avant tout Munch reste un peintre. Du fauvisme, il gardera dans ses toiles d'après 1900, une auréole floue, de Cézanne, il reprendra, bien avant les demoiselles de Picasso en 1908, le visage cubiste d'une femme (en 1903). Mais c'est son travail de matière qui est le plus impressionnant. Extrême matité de certaines toiles, touches fluides aquarellisées ou au contraire épaisses mais toujours maitrisées, finesse des couches ou empâtements (surtout dans les tons clairs pour mieux en faire ressurgir la lumière), c'est une grande leçon de peinture qui est exposée là, sous nos yeux, sans jamais perdre de son originalité et de sa modernité. Mais Munch ne se souciait pas de recherches théoriques, mais seulement de perceptions, et c'est peut-être là, le secret de ce peintre si complexe, si actuel, dans la richesse et la diversité de son œuvre.

Si vous passez par Paris, c'est surement l'exposition à voir actuellement.


Expressionnismus & Expressionismi

Pinacothèque de Paris – jusqu'au 11 mars 2012



A travers des thématiques simples (paysages, portraits, animaux, les iles), la Pinacothèque confronte dans une très belle exposition les deux mouvements fondateurs de ce que l'on nommera l'expressionnisme allemand, un courant artistique né au début du 20ième siècle, qui aboutira à l'abstraction avec Kandinsky, et à d'autres formes de représentation.
L'expressionnisme ne cherche pas à représenter la réalité telle qu'elle est, mais sa représentation imaginaire, à travers le filtre des états d'âme ou des émotions personnelles des artistes. Contrairement à l'impressionnisme français (mouvement du 19ème siècle qui aura libéré la couleur), l'expressionnisme ne se soucie pas d'une représentation tangible de la réalité, mais de la psyché, libérant ainsi l'audace de la forme et de l'emploi de la couleur. Ce sont aussi deux mouvements opposés ou complémentaires qui naissent dans une Allemagne en crise, pour renouveler l'art, et l'homme.


La Brucke, un pont vers un art nouveau (1905 - 1913)
C'est à Dresdeeeee que démarre en 1905 le mouvement de la Brucke, autour de 4 étudiants en architecture : Bleyl, Heckel, Kirchner et Rottluff. Rejetant la géométrie de l'architecte ces jeunes peintres, autodidactes veulent aller vers une peinture plus intuitive, où la couleur sera le support à des émotions. Ainsi, la Brucke, le pont, se veut un passage vers un monde meilleur, influencé en cela par l'œuvre de Nietzsche.
La première exposition de la Brucke en 1906 provoque un scandale, et est rejetée aussi bien par le public que par la critique. Le groupe écrit un manifeste en 1906 et est rejoint par les peintres Nolde, Amiet, Peschtein. Mais cette peinture nouvelle ne fait pas son chemin dans le monde des arts et les salons berlinois n'ouvrent pas leur porte à ces jeunes artistes.
Dès 1907 Nolde quitte le groupe, qui petit à petit se disloque. En 1913, le groupe est officiellement dissous, mais chaque peintre continuera son œuvre.
La Brucke s'intéresse aux arts d'Océanie et d'Afrique noire et le traduit dans ses œuvres par une simplification des traits du visage, et la schématisation. Kirchner simplifie ainsi son trait. Pechstein se libère de la couleur en ne la liant plus au motif représenté. Quant à Nolde, il tend vers l'abstraction par la simplification des masses, et un travail très audacieux de la couleur. Les peintres de la Brucke seront condamnés par le régime nazi. 639 des œuvres de Kirchner seront décrochées des musées. Le peintre se suicidera en 1938


Le cavalier bleu (1911 – 1912)
Alors que la Brucke avait son manifeste, et ses statuts, le mouvement du Cavalier bleu est plus informel. Les artistes qui s'y retrouvent sont aussi différents en style qu'en personnalités, mais ils veulent reconquérir un art qui se veut plus spirituel.
Autour du peintre allemand Franz Marc et du russe Kandinsky, se forme le cavalier bleu, probable allusion à un tableau de Kandinsky peint en 1903, à Munich. La première exposition du groupe en 1911 à Munich regroupe 14 artistes aussi différents que Le douanier Rousseau, Robert Delaunay, le compositeur Schonberg, les peintres Munter et Macke. Ici prédomine le renouveau de la forme, et est surtout un tremplin pour promouvoir l'art contemporain. L'exposition voyage à travers l'Allemagne, avec un certain succès. En mars 1912, s'ouvre alors une deuxième exposition, plus audacieuse, Kandinsky présente des œuvres quasi abstraites et essuie la vindicte d'une critique hostile. Mais le Cavalier bleu est soutenu par tout le monde culturel européen : Apollinaire, Cendrars, Léger soutiennent Kandinsky qui l'année suivante exposera sa première toile abstraite, et s'affirme comme le théoricien du groupe.
Le Blaue reiter publie un almanach en 1912, et veut faire de cette publication un creuset pour les artistes, en regroupant aussi bien des œuvresravées, des reproductions, des textes théoriques, et des personnalités aussi différentes que Jean Arp, Macke, Delaunay, mais aussi des œuvres venues d'autres cultures. Le Blaue reiter veut fédérer les arts, les décloisonner, sans hiérarchie entre arts majeurs et mineurs, arts primitifs et contemporain. L'art est libéré des étiquettes, et veut s'affranchir des contraintes de représentation pour aller vers une valeur émotionnelle et subjective de l'œuvre. L'expression plastique est libérée d'un académisme qui n'a plus raison d'être, et ouvre le chemin à l'abstraction et à tous les grands courants d'art qui vont sillonner le reste du siècle.
La Guerre de 14-18 met fin aux activités du Cavalier bleu. Franz Marc, cheville ouvrière du groupe, qui par la simplification des formes animales tend aussi à l'abstraction meurt au front en 1916. Macke, qui introduit dans sa peinture une géométrie cubique meurt en 1914.
Parmi les artistes qui ont rejoint le cavalier bleu, citons 3 femmes : la russe Natalia Gontacharova, et les allemandes Marianne Werefkin qui cherche à attendre un art fondé sur la vie abstraite, et Gabrielle Munter, compagne de Kandinsky dont elle fut l'élève. Très vite, elle rejette toute notion de perspective qu'elle remplace par des aplats de couleurs.



Les différences esthétiques
Les mouvements Brucke et Blaue Reiter se rejoignent dans l'intention et dans le sens à donner à la peinture, mais pas sur la forme. C'est un état d'âme, la subjectivité, permettant de révéler l'intériorité de l'artiste, son rapport et sa vision du monde. Il y a donc autant d'états que d'artistes, autant de façons de peindre.
Toute fois, on peut noter chez la Brucke, une volonté d'aller vers un acte primitif de peindre, de simplifier la forme, en privilégiant la ligne brisée, la forme anguleuse. L'emploi de la couleur est saturée, dans des tons chauds et violents (Nolde fera un usage éclatant de la couleur). L'effet visuel produit accentue le malaise, la distorsion qui renvoie à un quotidien sordide, un monde en conflit. Les artistes du pont sont des révoltés, contre un monde qui s'urbanise et engendre les inégalités.
Au contraire au Blaue Reiter, la recherche se théorise, les couleurs sont plus douces, et l'on renoue avec la courbe, qui permettra à Kandinsky et à Marc d'aller vers l'abstraction. Il ne s'agit pas de s'affranchir des angoisses, mais de les maitriser, et de passer, par des formes souples et des tons rompus où le bleu, couleur immatérielle, domine. C'est le passage subtil d'un monde sensible, celui de la figuration à un monde ultra sensible, celui de l'abstraction. La peinture se veut une harmonie nouvelle, non dénudée de poésie.
Ces nouvelles esthétiques furent condamnées par les nazis en 1937, et qualifiées d'art dégénéré, d'arts pour les fous. Il s'agissait pour Hitler de réduire les artistes au silence en confisquant les œuvres. Kirchner et Nolde (pourtant un temps séduit pas les idées fascistes) payèrent un lourd tribu, avec la confiscation de la totalité de leur production.
L'exposition de la Pinacothèque propose un choix d'œuvres inédites, permettant de découvrir les artistes les moins connus des 2 mouvements, et offrant une diversité d'œuvres : peintures, mais aussi gravures, dessins, aquarelles et sculptures. Ces œuvres, rarement présentées par les Musées, permettent de découvrir la richesse de ce mouvement, libérant la peinture des sentiers battus et faisant entrer définitivement l'art dans le contemporain. 

9 sept. 2010

Gérard Garouste, l'intranquille


Peintre emblématique des années 80, exposé partout dans le monde, Gérard Garouste revendique la peinture, entre tradition et rupture.
Garouste nait un 10 mars 1946, dans un milieu petit bourgeois, dominé par la figure paternelle. Tyrannique et violent, l'homme a fait fortune pendant la guerre en revendant des meubles volés aux déportés juifs. Il affiche un anti-sémitisme revanchard mais n'empêchera pas son fils d'épouser une femme juive.
Terrible poids de la culpabilité.Terrible attirance pour la fuite, quitter ce domicile étouffant, et trouver refuge chez une tante excentrique à la campagne, ou dans des pensions dont il se fait renvoyer : les études ne l'intéressent pas.

 Même si il noue des amitiés durables dans l'adolescence avec Patrick Modiano ou le metteur en scène Jean-Michel Ribes, Garouste met du temps à trouver sa voie. Doué en dessin, il suit des études aux Beaux-Arts de Paris, mais l'enseignement l'ennuie. Devant subvenir au besoin de son ménage, il travaille comme livreur puis vendeur chez son père. Et il se met à lire, Dante, puis la Bible, puis la Torah et les Evangiles. Il prendra des cours d'hébreu afin de mieux appréhender les grands textes fondateurs, entrer dans la complexité du langage, du Verbe fondateur.


Que peindre après un début de 2oème siècle fécond, après Picasso, après Duchamp ?
Garouste affirme sa tradition classique, figurative, et reprenant les techniques oubliées des grands maîtres, fabriquant ses huiles. et racontant des histoires.
Au sujet de sa première grande toile exposée à New-York, Garouste écrit : "Adhana, c'est le nom d'une constellation. Je suis allé au Centre d'Astronomie et j'ai demandé un détail du ciel que j'ai méticuleusement reproduit. Je suis le seul à le voir sur la toile. Ce n'est pas un hasard si cette toile m'a ouvert les portes. Elle dit mon rêve, mon choix, l'imbroglio de mes pensées, mon langage des signes et cette idée à laquelle je tiens : qu'on représente une chose et qu'on en raconte une autre. Celui qui la regarde n'y verra pas forcément tout ce que j'y ai mis, mais c'est l'intensité qui doit passer".

Dans son autobiographie, Garouste évoque aussi sa maladie, ses délires et ses nombreux séjours en hôpitaux psychiatriques, les traitements, les moments de répit, les nouvelles crises.
Parce qu'il fallait bien vivre aussi, Garouste travaille en tant que décorateur pour Jean-Michel Ribes, et pour la boite de nuit, le Palace qui connait un succès fulgurant à la fin des années 70. Il peint mais lentement. C'est sa rencontre avec le marchand d'art Léo Castelli va lancer sa carrière de façon fulgurante. Il expose à New-York, Berlin. 

Il lui faudra attendre encore quelques années pour obtenir la reconnaissance des officiels français, alors trop tournés vers l'art conceptuel, l'installation considérées comme avant-garde. Ce qui n'empêche pas Garouste d'honorer des commandes publiques, dont les plafonds de l'Elysée. Son dessin surréaliste, les histoires (inspirées de la mythologie ou de la bible) forgent son style.


Garouste explique qu'il dessine beaucoup, des études préliminaires, puis :
"Quand je traverse le jardin (vers son atelier), je deviens un artisan. Quand je peins, c'est comme si mes mains décident. j'aime ce moment où il n'y a plus qu'elles, la tête se relâche. Je vis la peinture au premier degré, comme une matière, une chimie, une alchimie. Je ne la fabrique plus maintenant, mais elle reste à mes yeux des pigments et de l'huile sur une palette. Elle ne prend son sens que lorsqu'elle donne vie au sujet, à l'histoire que j'ai choisi de raconter.


Lucide sur l'art, Garouste n'est pas tendre avec l'art contemporain : "les artistes sont aujourd'hui comme les alpinistes une fois l'Everest vaincu. Ils peuvent décider de monter sans cordes ni piolet, à reculons, torse nu, surenchérir toujours sur la performance. Ou au contraire, mettre leur pas dans ceux des maîtres, chercher leurs propres sensations, leurs propres vibrations sur le toit du monde".


Garouste explique sa démarche, simplement : "si j'ai peint des textes qui ont irrigué les siècles, fabriqué la pensée et conditionné la notre, à notre insu, c'est pour regarder en nous, révéler notre culture, notre pensée dominante, notre inconscient. Je veux être le vers dans le fruit."


J'ai trouvé au plus profond de moi, de ma honte, des choses que je pense universelles. J'ai démonté les textes, et les catéchismes, j'ai voulu briser le moule qui a modelé et rendu passif notre rgard.
J'ai peut-être fait une oeuvre en forme de circonstance atténuantes.


Les citations de Gérard Garouste sont tirées du livre 'Lintranquille" aux éditions l'iconoclaste - 2009.

26 févr. 2010

Baskt, le magicien 3/3


En 1909, Bakst se rendit à Venise, et découvrit les maîtres italiens de la Renaissance, mais aussi les palais. Non seulement l’influence de Venise, mais aussi des peintres comme Gauguin et Matisse l’incitèrent à encore plus de lignes simples et plus de couleurs saturées.

Le luxe et l’orientalisme des costumes du ballet Shéhérazade en 1910, avec de somptueux bleus et verts inspira le joaillier Cartier et donna naissance à un mouvement qui influença la mode (Poiret s’inspira des costumes de Bakst), la décoration, l’architecture et le cinéma.

Bakst savait utiliser les étoffes et les couleurs pour renforcer l’intensité dramatique d’un personnage et interpréter en couleur la musique. Il fut nommé directeur Artistique des Ballets Russes en 1910. Il collabora aussi avec la danseuse russe Ida Rubinstein, ce qui provoqua des brouilles sérieuses avec Diaghilev.

Travailleur acharné, Bakst qui s’était installé à Paris en 1912, souffrit de dépression. A sa santé fragile, devait s’ajouter le déclin des Ballets Russes après la guerre, et un art moderne qui voyait rayonner le cubisme et l’abstraction. Mais Bakst, homme ouvert et curieux, soutint du mieux qu’il peut les jeunes peintres français. Il acheta des œuvres au Douanier Rousseau, et se lia d’amitié avec Modigliani et Picasso, dont il fit le portrait en 1922.


En 1921, 3 ans avant sa mort, Bakst si vit confier par le lunatique Diaghilev la réalisation technique de la Belle au bois dormant sur une musique de Tchaïkovski : 5 decors et plus de 300 costumes. Le ballet n’eut pas un très grand succès et signa sa rupture définitive avec Diaghilev.
Bakst a toujours été très respecté par les artistes qu’ils soient danseurs, compositeurs ou auteurs. Il enseigna aux Etats-Unis et exposa partout dans le pays. Sa renommée internationale et son savoir-faire unique eurent une influence considérable sur le graphisme. Son utilisation de la couleur, et de la forme, son imagination et sa poésie ont fait de lui la référence incontournable en matière de costumes et de décors.

Ses aquarelles pleines de vie sont des tableaux à part entière, qui plus que de simples illustrations sont une véritable invitation à la poésie de la couleur et à la légèreté de la danse.

Léon Bakst est mort à Paris le 27 décembre 1924. Il avait 58 ans.

Les oeuvre de Léon Baskt sont conservées au Musée des Arts et du théâtre de Saint Pétersbourg. Peu d'ouvrages en français lui sont consacrés.

Baskt, le magicien 2/3



Les relations avec Diaghilev ne furent jamais simples pour Léon Bakst. Le danseur, d’un naturel exclusif exigeait une loyauté sans faille de ses amis. Leurs relations furent marquées de brouilles et réconciliation.
Bakst avait trouvé sa voie dans la création de costumes et de décors pour les ballets et opéras lyriques, qui sous l’influence de Diaghilev connurent un véritable renouveau.

Pour chaque ballet, Bakst puisa son inspiration dans la Grèce Antique (Hippolyte d’Euripide en 1902), le folklore russe (La fée de Poupées en 1903), l’orient et les bas-reliefs égyptiens (Cléopâtre en 1909), les miniatures perses, turques et chinoises pour Shéhérazade.

Ses croquis étaient clairs et détaillés facilitant le travail des costumiers. Surtout Bakst s’immergeait totalement dans l’univers des personnages, sans négliger la personnalité des acteurs ou danseurs. Très vite, il allait devenir un maître dans le graphisme. Inspirés par les peintres français du groupe Nabi, collectionneur d’estampes japonaises, Bakst fit de la simple illustration un art : couleurs vives et fraiches, économies de ligne, mise en situation des personnages à travers des perspectives inattendues. Le costume ne devint que le prétexte pour proposer des véritables œuvres, imprimées et distribuées au public comme souvenir du spectacle.

Pour séduire sa future femme, on raconte que Bakst lui offrit une aquarelle la représentant en l’une des poupées du spectacle La fée de Poupées. Il se maria en 1903 et son fils Andreï naquit en 1907.

Outre ses activités de décorateur, Bakst continua à peindre des portraits et des paysages. Il collaborait régulièrement au groupe Le Monde des Arts. La revue avait cessé de paraître en 1904, suite à des différents entre artistes, mais Bakst exposa régulièrement avec le groupe. Bakst, comme d’autres, luttait contre l’académisme de l’enseignement artistique. Il enseigna dans l’école de peinture progressiste Yelitza Zavantseva, et eut pour élève un certain Marc Chagall.

En 1907, il dessina le costume de la célèbre étoile Anna Pavolva pour le solo « la mort du Cygne ». Cette même année, il se rendit en Grèce pour visiter les sites antiques. Un panneau décoratif peint à la suite de ce voyage lui valut la médaille d’or à l’exposition universelle de Bruxelles en 1910.

1910. Diaghilev fonde les Ballets russes, et présente Cléopâtre, dans des costumes et décors de Bakst. La tournée de Ballets en Europe rencontra un vif succès et Bakst fut reconnu comme le plus grand designer. Jusqu’en 1921, il créa pour Diaghilev et sa troupe costumes et décors. Malgré son caractère difficile, Diaghilev sut inclure au répertoire classique du ballet, des œuvres des musiciens contemporains : Debussy, Ravel, Manuel de Falla et bien sur Igor Stravinsky. L’originalité des formes, les matières légères et somptueuses, les couleurs intenses furent pour beaucoup dans le succès des Ballets Russes. Il habilla Nijinski, dont la carrière s’arrêta en 1913, et tous les danseurs étoiles.

Baskt, le magicien 1/3



Dessinateur fabuleux, coloriste magique, Bakst est surtout très connu comme créateur de costumes et de décors d’opéras et de ballets. Mais c’est un véritable artiste qui se cache derrière les costumes flamboyants et luxueux. Léon Bakst est né le 9 mai 1866 à Grodno (actuelle Biélorussie) d’une famille aisée. Son grand-père était un couturier renommé et son père réussit dans les affaires. La famille déménage pour Saint-Pétersbourg, capitale de la Russie peut après la naissance de Léon.

Très jeune, l’enfant découvre avec sa mère l’univers du théâtre qui le fascine et fait naître chez lui une vocation de peintre. Il s’inscrit donc à 17 ans à l’Académie des Beaux-Arts, mais sans grand succès auprès de professeurs conformistes. Bakst n’hésite pas à peindre une scène représentant la Vierge Marie en vieille femme aux yeux rougis, et des saints aux traits orientaux poussés.

En 1886, le décès de son père le contraint à travailler. Bakst trouve un emploi d’illustrateur chez un éditeur de livres pour la jeunesse et se lie d’amitié avec son directeur, l’écrivain Alexandre Kanaïev. Celui-ci lui présente l’avant-garde artistique russe. Petit à petit, Bakst forge son style. Si ses premières illustrations sont assez linéaires et sans grand souci du détail, petit à petit, des thèmes font leur apparition : arlequins, personnages masqués, tachisme. Sa notoriété grandit aussi et il est demandé comme illustrateur par d’autres éditeurs. Il publie également dans la presse, pour illustrer les spectacles donnés à Saint-Pétersbourg.

En 1890, Bakst se lie d’amitié avec un groupe de jeunes artistes. Ils suivent tous les spectacles et se retrouvent régulièrement dans les coulisses de théâtre Mariinsky. Diaghilev venu de l’Oural pour suivre des études de musique dans la capitale russe rejoignit le groupe l’été suivant.

Dans ce milieu effervescent, Bakst comprit qu’il avait encore beaucoup à apprendre. Il se rendit au Musée de l’Ermitage copier des portraits de Rembrandt, puis décida d’un voyage en Europe : Paris, Madrid, Rome. De retour à Moscou, le jeune illustrateur reprit son travail, sans grand intérêt et décida de suivre des cours d’aquarelle auprès des plus grands spécialistes russes.


Très vite Bakst développera des talents de coloriste et un dessin méticuleux. Il est régulièrement exposé par la société des aquarellistes de Saint-Pétersbourg. La famille impériale lui commanda un tableau, ce qui l’incita à repartir pour Paris. Des vacances prolongées, en raison d’une liaison avec une comédienne, mais aussi une inscription à l’Académie Julian, pour se perfectionner en technique picturale. Mais Bakst cherche son style. Il retourne en Espagne, où il étudie Vélasquez, puis en Afrique du nord. Pendant cette période, il réalise des portraits à l’aquarelle d’individus de différentes ethnies.

En 1898, il fonde avec Diaghilev et l’aquarelliste Alexandre Benois le groupe Mir Iskusstva, le Monde de l’art. Ce groupe veut regrouper toute l’avant-garde russe, et sa revue qui regroupe des articles sur la musique, le théâtre, la littérature, la philosophie connaît très vite un succès phénoménal en Russie mais aussi en Europe. Les reproductions picturales montrent des œuvres romantiques ou inspirées du folklore russe. Les artistes cherchaient à fondre les courants artistiques venus d’Europe et l’art populaire russe, ce que fit si bien Bakst dans ces illustrations et ses études pour costumes et décors.

Grâce à Diaghilev, les mises en scène évoluent et le concept de scénographie est fondé. Très vite Saint-Pétersbourg devient le lieu de référence de la conception des costumes et décors des arts lyriques.

Bakst peut enfin mettre tout son génie dans l’étude de costumes et décors, grâce à Diaghilev, nommé directeur de théâtre. Allait s’en suivre une brillante carrière où Bakst allait affiner son style et son art.

Odilon Redon, l'oeuvre au noir 2/2


« Je parle à ceux qui cèdent docilement et sans le secours d’explications stériles, aux lois secrète et mystérieuses de la sensibilité du cœur ».

Abondante et variée, l’œuvre d’Odilon Redon peut se classer en trois thèmes : les noirs, les pastels et les huiles. Plus que peintre, Redon, pourtant redoutable coloriste, est un dessinateur. Mais le sujet de ses dessins (fusains ou gravures, que l’on regroupe sous le titre « les noirs ») n’est pas l’étude classique pour une peinture, un portrait ou un paysage, mais bien des dessins des mondes imaginaires et intérieurs de l’artiste.


« Je voudrais vous convaincre, que tout ne sera qu’un peu de liquide noir huileux, transmis par le corps gras et la pierre, sur un papier blanc, à seule fin de produire chez le spectateur une sorte d’attirance diffuse et dominatrice dans le monde obscur de l’indéterminé. Et prédisposant à la pensée.

Voilà ce qui devrait vous suffire. Toutes les raisons que je vous donnerais sur la contexture de mes albums vous paraîtraient insignifiantes et puériles; elle leur enlèverait le prestige qu’ils doivent avoir. Encore une fois, il est bon d’entourer toute genèse d’un mystère. »

C’est assez rare dans l’histoire de la peinture française pour être soulignée. Peu d’artistes avaient considéré le dessin et la gravure comme œuvre en soi. Et personne n’avait songé utiliser les possibilités du fusain ou de l’eau-forte pour exprimer, non pas un réel existant et magnifié, mais bien un monde inconscient. Presque un siècle avant les surréalistes, Redon innovait dans cette démarche, que l’on a rattachée au courant symboliste.

Passionné par les sciences – biologie et botanique-, féru de mythologie, Redon est aussi un grand lecteur : Poe, Shakespeare ou son ami Mallarmé. Tout cela a renforcé l’imaginaire d’un artiste, qui avoue sa fascination pour les êtres hybrides, et le fantastique. Même s’il s’en défend, il aime transfigurer le réel. « Le surnaturel ne m’inspire pas. Je ne fais que contempler le monde extérieur, et la vie », écrira-t-il en 1904. Aussi, dans un parcours atypique, il propose une série de dessin que l’on n’avait jamais vu dans l’art, ce qui n’échappe pas au groupe des peintres Nabis dont Redon est l’ami.

C’est vers 1875, à 35 ans et avec une solide expérience en tant que dessinateur et graveur, que Redon se tourne vers le fusain. « C’est une matière mal vue des artistes, et négligée. Que je le dise pourtant, le fusain ne permet pas d’être plaisant, il est grave », écrira-t-il en 1894.

On connaît l’admiration de Redon pour Rembrandt et pour Léonard de Vinci. Le premier est le maître du clair-obscur, le second du sfumato. Mais Redon voit dans le noir une couleur à part entière, avec ses dégradés, ses nuances pour passer du noir au blanc. Redon utilisait différents types de fusains, aux nuances différentes, tirant vers le brun ou le roux. Il travaillait aussi sur des papiers colorés bleus ou roses, mais la mauvaise conservation des dessins n’a pas permis de garder les couleurs originales. Cet usage du fusain correspond aussi à une période difficile de sa vie : deuils, épisodes dépressifs, remise en questions.

Redon continuera de dessiner toute sa vie. Mais jamais il n’attendra la richesse et la profondeur des noirs. Il reviendra à un dessin plus classique de fleurs et d’arbres, dus aussi à des travaux de commandes décoratifs.

Plus que la peinture à l’huile, Redon se tourne vers le pastel et lui redonne sa place de médium à part entière. Avant lui, Fantin-Latour ou Edgar Degas avait réalisé de nombreux portraits et paysage au pastel. Mais ce n’étaient que des études, pas des sujets à part entière. Le pastel était travaillé en fluidité, et très unifié. Redon va utiliser le pastel avec des craies noires et ne pas fixer sa dernière couche pour garder un éclat et une fraîcheur des couleurs. Il abandonnera d’ailleurs en 1912 l’usage du fixatif, préférant encadrer ses pastels sous verre.

Le pastel permet aussi d’évoquer des sujets « symbolistes ». La poudre de pastel fragile reste en suspens sur la surface du papier dont elle épouse le grain. Pour exprimer les sensations troubles, le mystère, les rêves, la technique du pastel est idéale. Plus qu’un portrait c’est le dessin d’une âme qui naît. De plus Redon reprend dans certains de ses pastels des éléments des peintures chinoises et japonaises, ce qui l’affilie aussi aux Nabis. Il introduira aussi – en souvenir de l’icône – la peinture dorée et argentée (Cellule dorée 1892).

Homme discret, doux rêveur, érudit, Odilon Redon laisse une œuvre singulière où le mystère et l’étrange côtoient la poésie et le rêve ouvert. Ses pastels les plus célèbres font partie des collections permanentes du Musée d’Orsay à Paris. Allez les contempler et laissez-vous bercer par la magie des couleurs ou par ce « petit supplément d’âme » du roi des mondes imaginaires.

Bibliographie

A soi-même: Journal, 1867-1915 : notes sur la vie, l'art et les artistes – Odilon Redon –Corti

Odilon Redon de Jean Vialla – Poche Acr éditions

En chinant, vous pourrez trouver des livres de reproductions des dessins de Redon, actuellement épuisés


Odilon Redon, l'oeuvre au noir 1/2


"L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l'attend dans le monde social."

Etrange les dessins d’Odilon Redon, ce peintre méconnu, trop souvent associé aux bouquets de fleurs qu’il a peint pour gagner sa vie. Surréaliste avant l’heure, affilié à l’école symboliste, Redon est un visionnaire, et à sa discrète façon, un de ces artistes qui ont fait évoluer l’art.

Découvrons (ou redécouvrons) ce peintre trop souvent ignoré.
Odilon Redon est né à Bordeaux le 20 avril 1840, d’un père français et d’une mère créole. Très jeune, on note ses capacités en dessin. Enfin fragile, il est enclin au rêve et à la solitude. Elevé dans la propriété viticole familiale, il se promène et dessine au fusain.

Un voyage à Paris lui permet de découvrir la peinture et la musique.

Bon élève, il développe aussi un fort sentiment religieux, plus lié à la fascination des églises qu’à la piété. A 15 ans, il prend des cours de dessin, s’initie à l’aquarelle. Avec son professeur, il découvre Courbet, Corot et surtout Gustave Moreau. " C’est avec lui que j'ai connu la loi essentielle de création... cet organisme d'art qui ne peut être appris par règles ni formules...".
Pour plaire à son père, il entame des études d’architecte, mais s’il garde le goût de la précision des dessins d’architecte, il sait que sa voie n’est pas dans ce domaine. Curieux, Redon s’intéresse à aux sciences et à la littérature. La découverte des Fleurs du Mal de Baudelaire oriente son imaginaire déjà fertile. Redon se met à peindre et voyage en Espagne.

En 1963, de retour à Bordeaux, il s’initie à la gravure, puis à la sculpture avant d’intégrer l’école des Beaux-Arts.

Ses premières eaux-fortes sont saluées par la critique. Pour vivre, Redon écrit des chroniques d’art dans la presse. C’est après la guerre franco-allemande de 1870 que Redon décide de quitter son bordelais natal pour s’installer à Paris. Il fréquente un milieu artistique, entrecoupé de séjours en Bretagne, en Hollande et en Allemagne. La découverte de peintres flamands lui inspire la série des « noirs », et il travaille désormais en prolongeant le clair-obscur de Rembrandt.

Redon a quarante ans, une solide expérience picturale. Il publie un album de lithographie dans lequel il explore les perspectives du clair-obscur. En 1880, il épouse une jeune femme d’origine créole. Il commence à travailler au pastel. Si les critiques ne sont pas enthousiastes lors des expositions où il présente ses fusains, Redon est apprécié par les jeunes artistes avec lesquels il fonde la Société des Artistes Indépendants. Il se lie aussi d’amitié avec Mallarmé et dédie 8 lithogravures à Edgar Poe.

Les années 1885-1887 sont difficiles pour Redon sur le plan personnel : décès de son père, puis de son frère Léo et de sa sœur Marie. Son premier fils meurt à 6 mois et Redon, très peiné, entre dans une crise mystique. Ses amis Huysmans et Vollard le soutiennent.

Plus que peintre, Redon se fait illustrateur. Il compose 6 lithogravures pour « la tentation de Saint –Antoine de Flaubert, et participe à une exposition de gravures à la célèbre galerie Durand-Ruel à Paris en 1889. S’il en fait pas partie du groupe de Nabis, il les fréquente, et c’est peut-être sous leur influence qu’il revient à la couleur et au pastel. « J'ai fait un art selon moi ». Ce qui ne l’empêchera pas d’illustrer Baudelaire, plus tard Mallarmé.

" Je délaisse de plus en plus le noir. Entre nous, il m’épuisa beaucoup » confiera-t-il à son ami Emile Bernard.
Redon aime aussi voyager, avec sa famille. Il se qualifie lui-même d’artiste apatride. Londres, Venise, Genève. C’est partir de 1898 que Redon commence à être reconnu comme peintre. Il expose régulièrement chez Durand-Ruel. Il a 58 ans, et il reçoit des commandes de décorations. En 1908, il exécute ses premiers cartons à tapisserie pour la manufacture des Gobelins. Il se met à peindre des fleurs, renouant avec les travaux de ses débuts, lorsqu’il était jeune peintre désargenté.
En 1913, une grande rétrospective de son œuvre est organisée à New-York.

Il meurt le 6 juillet 1916 à Paris. Sa tombe à Bièvres est toujours régulièrement fleurie.
A suivre, une analyse de l’œuvre de Redon.


Max Ernst, le magicien 2/2


Le 10 août 1925, une hallucination visuelle insupportable me conduisit à découvrir les moyens techniques qui entraînaient la réalisation claire de la leçon de Léonard »


C’est ainsi qu’Ernst explique son utilisation du frottage et du grattage. En posant sa feuille sur une surface en relief et en passant son crayon dessus, Ernst découvre des textures et des possibilités graphiques inédites. Il réalise alors 34 dessins regroupés dans le livre « Histoire naturelle ». Ernst affirme qu’il réalise ses frottages au hasard, révélant les formes étranges de la nature. La dernière planche d’Histoire Naturelle représente une Eve de dos, les cheveux courts. L’artiste reprendra le dessin pour une série de peinture mêlant huile et plâtre. Par le relief créé, Ernst fait sortir le tableau des 2 dimensions. Peu après, il utilisera les procédés de grattage, en ôtant de la peinture.

On le sait Ernst cherche à rompre avec toutes les pratiques académiques. En superposant les couches picturales, puis en grattant la peinture, Ernst travaille autrement la matière.

C’est le début d’un cycle de peintures totalement différentes de ce que l’artiste avait produit auparavant. Les « forêts » jouent sur l’organique, sur un retour originel au primitif. Plus tard, les séries sur les « villes entières » vont mêler le végétal et l’organique, des mondes étranges et inquiétants, qui rappellent les villes mortes et oubliées.


A partir de 1929, Ernst, toujours à la recherche d’un décalage avec son spectateur, intitule ses tableaux « Loplop présente » . Le peintre se fait narrateur, et surtout ne veut pas se présenter comme un artiste. Avec la Renaissance, l’artiste a acquis un statut qui a évolué d’observateur attentif du monde à celui d’artisan de mondes nouveaux. Pour rompre avec cette tradition, Ernst met en scène ses œuvres. Loplop serait un volatile (image que l’on retrouve très souvent dans son œuvre), un drôle d’oiseau, bien éloigné des colombes domestiques très à la mode à l’époque. Aigle prédateur qui se délecte de jeunes filles, coq moderne et fier, hirondelle libre dans ses envols gracieux, les différents symbolismes liés à l’oiseau n’échappent pas au peintre.

Alors que les courants de peinture précédents voulaient provoquer chez le spectateur des émotions et des sentiments, les dadaïstes et les surréalistes cherchent à exprimer les contenus inconscients dissimulés dans la vie quotidienne.

Ernst aime détourner les thèmes classiques de la peinture pour dépoussiérer les traditions picturales. Il est aussi un fervent défenseur des Républicains lors de la guerre d’Espagne, dont la défaite le désole.


Avec l’occupation de la France en 1939, les conditions de vie et de travail de l’artiste deviennent difficiles. Plusieurs fois arrêté, il réussit à fuir aux Etats-Unis avec l’aide de la collectionneuse Peggy Guggenheim.

Sur le sol américain, Ernst peint une prophétique « Europe après la pluie », monde marécageux et pétrifié. Il utilise les procédés d’impression et va désormais mêler collages et décalcomanie. Ernst a déjà exposé avec les surréalistes à New-York. S’il est moins populaire que Dali, ses découvertes ont influencé toute la jeune génération des artistes américains. L’action painting et l’expressionnisme abstrait vont, à l’instar d’Ernst, utiliser toute la surface picturale. Bien avant Pollock, il utilise, de façon très maîtrisée, le dripping, qui permet, selon la théorie surréaliste, de révéler l’inconscient.


En 1946, Ernst s’installe en Arizona. Il rencontre des Hopis, et est fasciné par la géométrie des motifs de l’art amérindiens. Il va incorporer des éléments géométriques dans ses compositions, mais aussi réaliser des sculptures aux formes simples et primitives.

Ernst ne modèle pas, mais il assemble des moulages séparés ou des objets divers, bouteilles de lait, amortisseur de voitures recouverts de plâtre, moulage de masque hopi. Il fallut attendre son retour en France en 1953 pour qu’Ernst puisse les faire réaliser en bronze.


Si Ernst est régulièrement exposé, il n’obtiendra qu’en 1954 la reconnaissance du milieu artistique en obtenant le grand prix de la Biennale de Venise, ce qui lui permettra de travailler sans soucis financiers.

Il s’installe en 1955 en Touraine. Depuis son séjour aux Etats-Unis, il ne tend plus ses toiles sur châssis, et peint à l’horizontale (comme le font d’ailleurs les amérindiens), ce qui induit un changement de perspective. Certaines de ses dernières œuvres peuvent être exposées dans tous les sens, et élargir la vision du spectateur, en lui offrant tous les possibles imaginaires.


Max Ernst s’éteint le 1er avril 1976, à près de 85 ans.

Il laisse une œuvre riche, variée et complexe. Homme discret mais innovant, Ernst laisse un fabuleux héritage, mais surtout il ouvre à l’Art des perspectives nouvelles


Telle est la vocation de l’homme : se délivrer de la cécité.

Bibliographie

Max Ernst, de Ulrich Bishoff – Taschen

Max Ernst, l’imagier des poètes , collectif aux éditions PU

Max Ernst, les collages originaux, collectif chez Gallimard


Max Ernst, le magicien 1/2


L’art est un jeu d’enfant.

Enigmatique Max Ernst, aussi bien dans ses œuvres que dans la façon d’arranger sa biographie. Chef de file de Dada, pionnier du Surréalisme, inventeur de techniques inédites, son œuvre qui mêle collage, frottage, dessin, peinture, sculpture reste parfois hermétique. Entre un humour corrosif et une érudition rare, Ernst s’amuse, invente, innove sans jamais oublier un esthétisme raffiné sous l’étrange et le décalé.

Décryptage.


Max Ernst est né le 2 avril 1891 à Brülh, près de Cologne (Allemagne), petite ville allemande tranquille, avec sa petite bourgeoisie provinciale. Son père est peintre amateur.

Très jeune Ernst dessine et caricature les figures de sa ville.
Après le baccalauréat, il entame des études de lettres à l’Université de Bonn et s’intéresse aussi à l’histoire de l’art.

En 1919, il rencontre Paul Klee dans son atelier de Munich et découvre les peintres « métaphysiques » Gorgio de Chirico et Carlo Carra. Ses premières œuvres évoquent cette influence en incorporant des éléments mystérieux.

Il se tourne vers le collage, et mélange aquarelle, gouache, crayon pour produire des images étranges qu’il expose à Cologne. Ernst n’a pas à priori de formation de peintre, mais il a une solide et très sérieuse culture artistique. Il connaît parfaitement les théories de la composition et de la perspective. Mais il aime innover et utiliser des matériaux inhabituels : planches d’enseignement, patrons de couture, ouvrages d’artisanat, revue de mécanique, réhaussés de gouache ou de crayons.

Ses collages lui permettent d’épingler les petits et gros travers de la société, les travaux dit féminins (qui asexuent les femmes dit-il), l’industrialisation déshumanisée ou la sensualité libérée.


Il aime aussi provoquer ce que lui vaut une convocation par la police de Cologne et la fermeture « pour obscénité » d’une exposition à la brasserie Winter en 1920.

Ernst se rapproche du groupe Dada dont il partage les idées de rupture artistique. Loin de l’art bourgeois et convenu, de l’enseignement artistique classique, Ernst et les membres de Dada recherchent un art vivant, en rupture avec les traditions académiques. Le choix de matériaux étrangers à l’art et une technique nouvelle, le collage, font partie de cette rupture. Le peintre travaille une composition, Ernst organise les éléments, et utilise la règle et le compas, ce qui est strictement interdit aux étudiants des cours de dessin. Le mécanique se substitue à l’organique, le travail du collage, minutieux, rappelle celui de l’artisan horloger.

Mais Ernst, qui est aussi un fervent lecteur des ouvrages de Freud utilise dans ses collages la notion d’inconscient et de rêve, pour produire des images oniriques aux titres énigmatiques ou pleins d’humour. C’est son univers qu’il projette, sa vie rêvée ou réelle.


En 1922, Ernst se rend à Paris, où il retrouve ses amis : Eluard, Breton, Tzara.

Il se met à peindre à l’huile, ce qui lui permet d’agrandir ses formats. A l’instar de ses collages, il va mélanger des éléments à priori hétéroclites, pour raconter une histoire, parfois onirique, parfois effrayante.

Hébergé par Eluard, Ernst va peindre des fresques et décorer portes et murs, en utilisant la technique du trompe l’œil revisité par l’imaginaire du peintre.

Les peintures de la période 1922-1925 sont de facture classique, là où les sujets ne le sont pas. Ernst illustre ses rêves, et s’amuse aussi en parsemant son œuvre de symboles récurrents : l’allusion aux machines et à la mécanique, le rôle des mains, la perspective centrale empruntée à Chirico, et un usage très classique de la couleur – les oppositions orange/bleue sont dominantes dans cette période. Ce n’est pas la technique picturale qui semble intéresser Ernst mais bien le sujet du tableau destiné à interpeller le spectateur, le renvoyer à ses propres émotions et ressentis, voire suggérer un léger malaise, par un décalage subtil entre la réalité et ce qui est figuré.


Parce que nous sommes habitués à avoir vu des peintures surréalistes, nous ne pouvons pas imaginer l’impact qu’ont eu en France, dans les années 1925, les œuvres d’Ernst. A l’écart des courants artistiques (cubisme, impressionnisme, art abstrait), c’était une démarche totalement nouvelle et originale.

Mais Ernst avait d’autres idées et fit d’autres découvertes…

A suivre.

Dürer, l'oeuvre peinte


« Plus ton œuvre sera exacte dans ton apparence, et plus ton œuvre plaira ».


Dürer est aussi l’un des premiers peintres à se pencher sur l’autoportrait. Le premier est réalisé à l’âge de 13 ans et montre déjà une maturité et un talent pour le dessin. Mais toute sa vie Dürer se représentera, reflétant le temps qui passe et ses émotions intérieures.

Il se dessine aussi nu, ce qui n’avait jamais été fait dans l’art.Il apparaît jeune et fier dans ses premiers autoportraits, et observe en lui les mutations et le temps qui passe.

Dans le portait de 1493, il se met en scène à la façon des maîtres italiens, revêtu du costume du peintre. En 1500, il se représente à la façon d’un Christ. On sait que Dürer était profondément religieux – s’il a été séduit par les idées de Luther, il n’a jamais abandonné sa foi catholique. Par cette peinture, Dürer ne veut pas dire qu’il est un dieu créateur mais bien un homme qui, par la souffrance dont il a fait l’expérience, suit un parcours christique. L’expression est grave, et nul doute que Dürer a tenté d explorer les multiples facettes du moi, une idée novatrice pour l’époque.

N’oublions pas que l’Allemagne était troublée par des révoltes paysannes, des épidémies de peste ou de syphilis. Les gens pensaient la fin du monde proche, et Dürer lui-même a toujours été préoccupé par l’idée d’une mort prochaine.

Dürer réussit aussi dans ce portrait de 1500 à inverser les rôles. On a l'impression que le sujet interroge, qu'il vous regarde dans les yeux comme pour renvoyer à vous-même, à votre propre visage, comme pour nous dire : qui es-tu ? Jamais peintre de la Renaissance n'avait atteint cette profondeur d'expression (bien évidemment la petite reproduction ci-dessus ne peut pas donner l'impression que l'on ressent davant l'original).

Dürer est également le premier grand peintre allemand. Inspiré par les idées de la Renaissance sur le rôle de l’artiste comme passeur de la beauté, Durer va propager les idées nouvelles sur l’art et sur la science. Même s’il vit dans une réalité difficile, il réunit autour de lui des éditeurs, des philosophes et étudiants.

Les quatre Apôtres, dytique peint en 1526, deux ans avant la mort de l'artiste, constitue en quelque sorte son testament pictural : la symétrie entre les deux panneaux est parfaite ; la silhouette des personnages, loin de l’hiératisme souvent associé aux représentations en pied, donne à l'ensemble un caractère grandiose ; leur position sur deux plans différents produit une impression de profondeur. Le rythme est suscité par la luminosité et la couleur. Le panneau où figurent saint Jean et saint Pierre est caressé d'une lumière rasante, sur des couleurs chaudes ; à l'inverse, celles des manteaux de saint Paul et de saint Marc sont d'une froideur qu'accuse une lumière blanche et violente. Cette opposition picturale est aussi une première. Il faudra attendre 2 siècles pour que les premières théories de la couleur voient le jour.

L'expression des visages permet d'identifier les saints aux quatre tempéraments de l'homme :

- le sanguin est personnifié par le visage doux mais rubicond de saint Jean,

- le colérique sous les traits d'une certaine agressivité de saint Marc,

- le mélancolique par l'austère saint Paul,

- le flegmatique par un saint Pierre au visage las.


Mélancolia I.

Dans cette œuvre, Dürer a résumé l'état de ses connaissances, mais c'est toutefois une gravure, Mélancolie I (1514), qui pourrait être qualifiée de manifeste du peintre : cette gravure sur cuivre doit être comprise comme la synthèse symbolique de la Mélancolie et de la personnification de la Géométrie.

Représentée sous forme d’ange, le visage est sombre. Selon Hippocrate, la mélancolie est la bile noire ou humeur noire. Ses attributs traditionnels sont : le motif du poing fermé, la bourse, les clés et la chauve-souris, des images choisies bien avant Dürer. À ces éléments, l'artiste ajoute le compas, la sphère, l'équerre, le rabot, le marteau, autant de symboles liés à la Géométrie. Au sol, des outils de graveur, en hommage aux années de compagnonnage et à l’initiation du futur maître allemand.

Mais Dürer glisse aussi un carré magique de valeur 34, allusion à ses études et ses recherches en mathématiques. Par ailleurs, les carrés magiques sont présents dans les traditions ésotériques. Des études sur ce carré magique montrent qu’il s’agit d’un carré dit gnomon que l’on retrouve dans certains manuscrits du Moyen-Age et qui est dédié à Jupiter. Dürer aurait-il, non sans un certain humour, souligné que Jupiter, symbole de jovialité était le meilleur recours pour combattre la mélancolie ? Où plus simplement, la présence du divin en soi.

Bien des interprétations ont été données sur cette étonnante gravure. Il est possible que Dürer ait été en contact avec des sociétés ésotériques.

Plus simplement, dans cette gravure, outre tous les éléments qui ont fait sa vie et son œuvre, l’artiste exprime ses tendances à la mélancolie et au doute, à sa condition d’homme et de créateur.


Bibliographie

- Albrecht Dürer, Le songe du docteur et La sorcière : Nouvelle approche iconographique de Claude Malowski aux éditions La Différence

- Traité des proportions : Lettres et écrits théoriques (Broché) de Dürer – Hermann

- La vie et l’art de Dürer de E. Panofsky – Hazan.

Rothko, la puissance méditative du tableau


Si je devais placer ma confiance dans quelque chose, ce serait dans la psyché du spectateur, sensible, libre de tout modèle conventionnel. Je n'aurais aucune idée de la manière dont il pourrait user de ces images pour les besoins de son esprit. Mais que ces deux choses, besoin et esprit, sont présentes, on est garanti qu'il y a un échange vrai."

Considéré comme l'un des plus grands peintres américains, Mark Rothko fut l'un des artistes les plus avant-gardistes d'une génération qui allait profondément modifier la peinture américaine. A travers ses toiles immenses, le peintre a toujours souhaité définir une relation "sensorielle" avec le spectateur.
Apprécier Rothko ne peut pas se faire à travers des reproductions, juste présentes ici pour donner une idée. Le format imposant, l'organisation des tableaux font partie de cette recherche de complicité et de porte ouverte sur un monde à s'approprier chers à l'une de figures de ce que l'on nomma l'expressionnisme abstrait.

De son vrai nom Marcus Rothokowitz, le peintre est né le 25 septembre 1903 à Dvisnk en Russie.
Sa famille émigre aux Etats-Unis en 1913 et s'installe dans l'Oregon. Un an plus tard le père de Rothko décède.
Après des études à la prestigieuse université de Yale, Rothko suit des cours de dessin et puis de peinture à l'Art Students League. Il donne en 1929 des cours de dessins à Brooklin, sa vie matérielle est assez difficile. Il expose pour la première fois en 1933. De 1925 à 1946, sa peinture emprunte à la mythologie et au surréalisme. En 1935, il fonde le groupe TEN, avec lequel il exposera jusqu'à la dissolution du groupe en 1940, année où il simplifie son nom.
A partir de 1944, sa peinture évolue vers l'abstaction. En 1947, il peint des "multiforms" qui vont aboutir à des formations chromatiques rectangulaires caractéristiques de son oeuvre.
En 1957, il réduit sa palette. Exposé et reconnu, Rothko enseigne dans diverses écoles d'art et universités. Rothko honore également des commandes murales, et surtout en 1964, aménage la chapelle de Houston, qui restera sans doute sa plus importante réalisation. Il fait une donation à la Tate Gallery en 1964 qui lui ouvre une salle deux ans plus tard.
Le 15 février 1970, Rothko, très déprimé et affaibli par la la maladie, se suicide. Un an plus tard, la chapelle Rothko est inaugurée.

Je ne développerai pas ici la première période des peintures de Rothko, qualifiées de "mythologiques".
Influencé par les surréalistes (les grands noms du surréalisme avaient fui la guerre pour s'installer à New-York), Rothko, homme érudit et passionné de philosophie, chercha dans ses premières peintures à synthétiser abstraction et surréalisme.


En 1946, Rothko abandonne les formes figuratives pour peindre ce qu'il nomme des "multiformes". Des taches de couleurs, inspirées de formes concrêtes, peintes en transparence, par de fines couches de peinture superposées.
Il aggrandit aussi le format de ses tableaux, et limite sa palette à des tons vifs de jaunes et de rouges. L'artiste fabrique lui même ses chassis et ses couleurs. Il mélange des pigments à la sous-couche de colle, et utilise des couleurs très diluées qu'il applique très rapidement, pour trouver une luminosité intérieure. Très vite, il va opposer des tons clairs à des tons sombres, pour renforcer une tension dramatique. La forme se simplifie au point de ne devenir que des rectangles, mais les applats de couleurs semblent flotter, renforcés par les oppositions chromatiques. Rothko parle de "tableaux dramatiques".
Il ne donne plus de nom mais un numéro à chaque tableau, et s'occupe de régler l'éclairage des salles où il expose, privilégiant une lumière tamisée.
Au milieu des années 50, le peintre expose régulièrement et suscite l'admiration des critiques. Mais il se sent incompris. Il situe ses tableaux dans une démarche spirituelle : ses formes sont des organismes vivants, se situant au-délà du matériel. "Mon art n'est pas abstrait, il vit, il respire". Il refusera désormais de s'exprimer sur sa peinture, mais livre quelques indications précieuses : "Il existe deux caractéristiques dans mes peintures : soit les surfaces sont expansives et elles tendent vers l'extérieur dans toutes les directions, soit elles se concentrent et renvoient toutes les directions vers l'intérieur".

Rothko ne se revendique pas non plus comme peintre de la couleur qui ne reste qu'un moyen pour exprimer des émotions, et devenir des surfaces dotées de force mystique. Petit à petit, pour échapper à cette étiquette de coloriste, il restreint sa palette à des tons sombres, bruns, noirs, bleus, plus mystérieux.
Il faut vraiment voir un tableau de Rothko pour comprendre toute la subtilité et la maitrise du peintre. Entre chaque applat de couleur, les fines couches superposées laissent apparaître des sillons, des fissures, et un étonnant travail de matière. Un tableau dans le tableau, qui donne aux oeuvres du peintre une présence extrêmement forte. Tout comme Yves Klein en France, Rothko cherche à immerger son spectateur dans un univers où la méditation et la réflexion seront les premiers pas vers une quête spirituelle.


En 1965, Rothko se voit confier l'aménagement (dont la réalisation de grandes peintures murales) de la nouvelle chapelle de Houston. Il emménage alors à Houston dans un atelier de 15m de haut, qu'il installe comme la future chapelle. Il prévoit un plan orthogonal, de façon à ce que le spectateur soit entierement entouré des peintures, avec une lumière diffusée par une coupole et tamisée. Il insiste sur la sobriété du bâtiment, et sur un mobilier simple et minimal.
Rothko, agé de 62 ans, se fait aider par des assistants. Les oeuvres sont montées sur chassis, peintes à l'huile très diluée. Quatorze peintures murales sont réalisées, dont trois triptyques. Les tons vont d'un brun sombre dilué à un noir opaque. Rothko ne choisit pas ces tons au hasard; il veut que le regard du spectateur ne se focalise pas sur un point précis pour attirer celui-ci vers l'infini, "au seuil du divin".
En 1966, Rothko aménage sa propre salle à la Tate Gallery à Londres. Il peint 9 segments muraux qu'il dispose à sa guise, avec un éclairage tamisé. Rothko souhaitait que sa salle soit un refuge pour le spectateur, et une invitation à la contemplation que le peintre conçoit comme un dialogue. Un univers de silence dans une atmosphère de repos et de méditation.
En 1968, la santé du peintre se détériore. Contre l'avis de ses médecins, il continue à consommer alcool et tabac de façon abusive. Il se sépare de sa compagne et se retrouve seul. Souvent déprimé, l'artiste consomme aussi des psychotropes. Il se suicide le 25 février 1970, après avoir avalé une dose massive d'anti-dépresseurs. Il avait 66 ans. Ses derniers oeuvres, peintes à l'acrylique mate sur papier sont sombres, sans cette puissance sensorielle qui avait fait le succès du peintre.
Après des querelles juridiques sur la succession de l'artiste, la Fondation Rothko voit le jour en 1974. Selon le voeu du peintre, elle soutient des jeunes artistes dans le besoin et a prête partout dans le monde les 600 oeuvres laissées par l'un des plus grands peintres de l'art dit moderne.

Mucha, le triomphe de l'Art nouveau


Peintures, affiches, vitraux, bijoux, Alfons Mucha marqua de son style généreux et symbolique les arts que l'on dit "mineurs" opposés à la peinture ou la sculpture. Célébré et estimé par le public, on en oublie le génie de cet artiste, virtuose de la forme et profondément symboliste.

Mucha est né le 24 juillet 1860 en Moravie du Sud.
Il suit des cours de dessin, puis rentre à l'académie des Beaux-Arts de Munich. Très actif dans les milieux artistiques, il s'oriente toutefois vers l'illustration, et réalise des affiches publicitaires. En 1894, il s'installe à Paris et réalise les affiches et portrait de la comédienne Sarah Bernhardt.
Il expose par ailleurs dès 1897 à Paris, tout en voyageant à travers l'Europe. En 1900, il reçoit la médaille d'argent à l'Exposition Universelle de Paris, pour l'aménagement du pavillon de la Bosnie-Herzégovine. Il travaille pour le bijoutier Fouquet, dont il aménage la boutique, tout en créant de bijoux, des plaques décoratives.
De 1904 à 1908 Mucha enseigne à New-York et à Boston, tout en continuant ses activités de décorateurs.
De 1910 à sa mort en 1939, l'artiste partagera son temps entre son atelier à Prague, Paris, New-York et Chicago où il régulièrement exposé.
En 1931, il conçoit un vitrail pour la chapelle de la cathédrale Saint-Guy de Prague. Il publie ses mémoires "Trois déclaration sur la vie et l'oeuvre en 1936".
Il meurt des suites d'une pneumonie le 14 juillet 1939 à Paris.

Inimitable, le style de Mucha. Modèle pour toute une génération de dessinateurs et d'artistes. Si il représente des jeunes femmes stylisées, entourées de fleurs et motifs ornementaux, symboles et arabesques poétiques. Peintre de l'Art Nouveau et du Jurgenstil, Mucha puise pourtant ses influences dans l'art religieux (position sacrée de ses personnages, surfaces en mosaïque, croix ou auréoles) et byzantin, dans le Baroque de la Renaissance, mais aussi dans la gravure japonaise, au dessin linéaire.

Proche des Symbolistes et de francs-maçons, Mucha entretenait des contacs amicaux avec Odilon Redon et Gustave Moreau. Sa représentation de la femme oscille entre l'idéal féminin mythique et la femme fatale. On le sait aussi fasciné par les affiches de Toulouse-Lautrec.
Très vite, Mucha impose son style et le formalise : il pousse à l'extrême la stylisation et les motifs ornementaux, pour créer une atmosphère à la fois raffinée, mais aussi décadente. Les chevelures imposantes deviennent volutes et arabesques, les vêtements sont des étoffes drapées, les parures et bijoux sont recherchés et travaillés.

Mucha ne se limite pas aux affiches. Il réalise des panneaux décoratifs, des paravents, des calendriers, des cartes postales. En 1898, Mucha dessine des bijoux qui seront réalisés par le joaillier parisien Fouquet. Mélant or, pierres semi-précieuses, ivoire et émail, ses bijoux sont un hommage à l'art oriental et byzantin. Mucha réalise également la décoration de la boutique de Fouquet. Une oeuvre d'art totale, puisque Mucha s'occupera de tout, des meubles, des facades, des vitrages et même des ferrures. Renovée en 1923, le Musée Carnavalet a conservé toutefois certaines parties de l'installation.

Mucha réalisa des projets décoratifs de vaisselle, meubles, couverts qu'il regroupa dans l'ouvrage "Documents décoratifs", publiés en 1902.
Hélas, l'art nouveau allait décliner avec l'arrivée du 20ième siècle. Il part aux Etats-Unis en 1904. Si il jouit d'un succès en tant que décorateur ou affichiste, Mucha n'est pas reconnu comme un artiste, à l'instar d'un Monet ou d'un Seurat. De retour dans son pays en 1910, Mucha peint une série de toiles représentant la mythologie slave, mais sans rencontrer de succès. Son style est qualifié de maniéré, et le thème même de cette oeuvre n'est plus au goût du jour.

L'oeuvre de Mucha tomba dans l'oubli, avec les conflits du siècle passé, et les avancées de l'art vers l'abstraction et des façons de faire nouvelles.
On le redécouvre aujourd'hui, non seulement comme un dessinateur génial, mais comme un créateur qui a su élever l'art "utilitaire" au rang d'art, par la finesse de ses compositions, et par un esprit inventif, qui ne limitait pas le mot "art" à la seule surface d'un tableau.