


Autour de l'haiku de Bashô
"Réveilles-toi, réveilles-toi
Et deviens mon ami
Papillon qui dort"
Le monde oscille entre deux miracles : soudaineté et progressivité.
Pressentir qu’il y a un dieu n’est qu’une preuve insuffisante de son existence. Il y en a une plus radicale : douter de lui.
Le chemin qui va du sentiment religieux au dogme est infiniment plus long que celui qui va du dogme à la folie religieuse.
Croire ou ne pas croire, c’est une chose que l’on ne sait en général pas soi-même. Mais la question du doute, elle, ne se pose à personne. Seulement on ne sait pas toujours de quoi on doute.
Présence infinie de Dieu : tu le vois, tu l’entends, tu le sens partout. Mais Lui ne te perçoit nulle part.
Parler de l’amour pour l’homme est : en politique, une formule creuse ; en religion, un malentendu ; en morale une folie.
Dieu est-il le rêve de l’humanité ? Ce serait trop beau.
L’humanité est-elle le rêve de Dieu ? Ce serait abominable.
Dans la vie, on est sans arrêt confronté à ce choix : se simplifier la vie et compliquer celle des autres et inversement. Mais a-t-on vraiment le choix ?
Il est mal fait ce monde où les plus grands artistes ne disposent que par moment de leur génie, mais où même les plus petites canailles se trouvent sans discontinuer en pleine possession de leur caractère.
Les plus lamentables individus sont ceux dont la distinction ne leur coûte rien, et dont le courage est juste suffisant pour qu’il ne leur arrive rien.
Tu ne veux pas avoir commis une seule bêtise dans ta vie ? C’est justement cela qui en est une, et elle est eut-être la seule qui soit irréparable.
Lorsque la haine devient lâche, elle avance masquée en société et se nomme justice.
La connaissance de soi-même n’est presque jamais le pas vers une amélioration, mais le dernier avant la contemplation narcissique.
Art et création
On prête à l’artiste une intention artistique, éthique ou autre qu’il n’a jamais eue, et on lui reproche de ne pas avoir atteint ce qu’il voulait.
Même dans l’amour, il y a une volonté de former. L’amoureux modèle plus ou moins consciemment à partir de l’être qu’il aime une figure plus ou moins ressemblante à l’original.
Il est tout à fait possible de considérer l’art comme le résultat d’une névrose de peur – au sens où il est issu du désir d’échapper à la peur de l’éphémère. L’art veut conserver, ce n’est ensuite qu’il veut former. L’un cherche le salut dans les formes, l’autre dans la peur.
Jouer avec les reflets de l’existence et s’y complaire, c’est ce que fait l’homme de lettres. Mais le poète est celui pour qui l’existence se mire une deuxième fois dans ces reflets.
Il est bien à plaindre celui qui ne vit pas sa vie, mais son autobiographie.
Il est tellement facile d’écrire ses souvenirs quand on a une mauvaise mémoire.
Il est possible d’imaginer un monde sans faute ni responsabilité. Un drame, non.
L’œuvre de bon nombre de poètes nous donne bien le vague sentiment qu’ils ont quelque part du génie, mais malheureusement pas dans ce qu’ils écrivent.
L’important ce n’est pas la conviction mais la conception. Les gens à conviction ont toujours été ceux qui ont allumé de bûchers pour les gens ayant des conceptions.
Il y a trois sortes d’hommes politiques : ceux qui troublent l’eau, ceux qui pêchent en eaux troubles, et les plus doués, ceux qui troublent l’eau pour pêcher en eau trouble.
L’histoire du monde est une conjuration des diplomates contre le bon sens.
Que m’importe tout ce bavardage ? Je ne me suis jamais soucié de politique dans ma vie !
A quoi bon mon ami ? Elle s’occupe pourtant de toi à chaque instant de ta vie.
Il n’existe aucune conviction politique, au sens partisan du terme, qui ne plonge au moins pour une part ses racines dans le terrain altéré de l’étroitesse de vue.
Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-199) est l’un des maîtres du cynisme, et de la remise en question.
Si le philosophe a toujours cherché les moyens d’élever l’homme, aux sens culturels et spirituels, il se veut penseur libre, en évolution. Parce qu’il ne veut pas écrire des traités complexes, Nietzsche utilise l’aphorisme, ces petites phrases résumant un principe ou une idée. Reconnu comme le roi de la phrase cinglante, certains de ses aphorismes sont aussi empreints d’ une certaine poésise.
Une seule chose est nécessaire à avoir : ou bien un esprit léger de nature ou bien un esprit rendu léger par l’art et la science.
Le signe que l’on a atteint la maturité de la raison, c’est qu’on ne s’aventure plus aux endroits où poussent les fleurs rares sous les broussailles les plus épineuses de la connaissance, et que l’on se contente des jardins, forêts, prairies et champs, considérant que la vie est trop courte pour les choses rares et extraordinaires.
La femme parfaite est un type d’humain plus élevé que l’homme parfait. C’est aussi une chose beaucoup plus rare. L’histoire naturelle des animaux offre un moyen de rendre cette proposition plus vraisemblable.
Quelques hommes ont soupiré de l’enlèvement de leur femme. La plupart de ce que personne ne voudrait la leur enlever.
L’exigence d’être aimé est la plus grande des prétentions.
Toutes les femmes sont pleines de finesse lorsqu’il s’agit d’exagérer leur faiblesse. Elles sont même pleine d’ingéniosité à inventer des faiblesses pour se donner l’apparence de fragiles ornements qu’un grain de poussière ferait souffrir. C’est ainsi qu’elles se défendent contre la vigueur et le « droit du plus fort ».
Le concubinage, lui aussi, a été corrompu. Par le mariage.
Le Christianisme a fait boire du poison à Eros. Il n’en est pas mort, mais il est devenu plus vicieux.
Avoir honte de son immoralité, ce n’est qu’un premier degré. Au dernier, on aura honte aussi de sa moralité.
On n’est jamais aussi bien puni que pour ses vertus.
La morale dans l’Europe d’aujourd’hui est une morale de troupeau : Donc, selon notre façon de voir, rien qu’une morale humaine, à coté de laquelle, devant et après laquelle, bien d’autres morales, et surtout les morales supérieures sont possibles ou devraient l’être.
L’homme est matière, fragment, superflu, argile, boue, sottise, chaos, mais il est aussi créateur, sculpteur, marteau impitoyable, et divinité qui au 7ème jour contemple son œuvre. Comprenez-vous ce contraste ?
La soumission a une morale peut être due à la servilité ou à la vanité, à l’égoïsme ou à la résignation, au fanatisme ou à l’irréflexion. Elle peut être un acte de désespoir comme la soumission à un souverain. En soi, elle n’a rien de moral.
Nous ne considérons pas les animaux comme des êtres moraux. Mais pensez-vous donc que les animaux nous tiennent pour des êtres moraux. Un animal qui savait parler a dit «L’humanité est un préjugé dont au moins, nous autres animaux ne souffrons pas ».
Les insectes piquent, non pas par méchanceté mais parce qu’eux aussi veulent vivre. Il en est de même pour les critiques : ils veulent notre sang, non pas notre douleur.
Chaque mot a son odeur. Il y a une harmonie ou une dissonance des parfums, donc aussi des mots.
Qu’importe un livre qui ne sait pas même pas nous transporter au-delà de tous les livres ?
Que tu es seule dans ta maison!
Vêtue de blanc!
(Équateur entre le jasmín et le nard!)
Écoute les merveilleux
Sons de ton patio,
La faible trille jaune
Du canari.
Le soir tu vois trembler
Les cyprès avec les oiseaux,
Tandis que tu brodes lentement
Des lettres sur le canevas.
Amparo,
Que tu es seule dans ta maison!
Vêtue de blanc!
Amparo,
Et qu'il est difficile de te dire
Je t'aime!
Amparo,
!Qué sola estás en tu casa
Vestida de blanco!
(Ecuador entre el jazmín y el nardo!)
Oyes los maravillosos
Surditores de tu patio,
T al débil trino Amarillo
Del canario.
Por la tarde ves temblar
Los cipreses con las pájaros,
Mientras bordas lentamente
Letras sobre el cañamazo.
Amparo,
!que sola estás en tu casa
Vestida de blanco!
Amparo,
!y qué difícil decirte:
Yo te amo!
Baudelaire, L'invitation au voyage, in les Fleurs du Mal.