Peintre emblématique des années 80, exposé partout dans le monde, Gérard Garouste revendique la peinture, entre tradition et rupture.
Garouste nait un 10 mars 1946, dans un milieu petit bourgeois, dominé par la figure paternelle. Tyrannique et violent, l'homme a fait fortune pendant la guerre en revendant des meubles volés aux déportés juifs. Il affiche un anti-sémitisme revanchard mais n'empêchera pas son fils d'épouser une femme juive.
Terrible poids de la culpabilité.Terrible attirance pour la fuite, quitter ce domicile étouffant, et trouver refuge chez une tante excentrique à la campagne, ou dans des pensions dont il se fait renvoyer : les études ne l'intéressent pas.
Même si il noue des amitiés durables dans l'adolescence avec Patrick Modiano ou le metteur en scène Jean-Michel Ribes, Garouste met du temps à trouver sa voie. Doué en dessin, il suit des études aux Beaux-Arts de Paris, mais l'enseignement l'ennuie. Devant subvenir au besoin de son ménage, il travaille comme livreur puis vendeur chez son père. Et il se met à lire, Dante, puis la Bible, puis la Torah et les Evangiles. Il prendra des cours d'hébreu afin de mieux appréhender les grands textes fondateurs, entrer dans la complexité du langage, du Verbe fondateur.
Que peindre après un début de 2oème siècle fécond, après Picasso, après Duchamp ?
Garouste affirme sa tradition classique, figurative, et reprenant les techniques oubliées des grands maîtres, fabriquant ses huiles. et racontant des histoires.
Au sujet de sa première grande toile exposée à New-York, Garouste écrit : "Adhana, c'est le nom d'une constellation. Je suis allé au Centre d'Astronomie et j'ai demandé un détail du ciel que j'ai méticuleusement reproduit. Je suis le seul à le voir sur la toile. Ce n'est pas un hasard si cette toile m'a ouvert les portes. Elle dit mon rêve, mon choix, l'imbroglio de mes pensées, mon langage des signes et cette idée à laquelle je tiens : qu'on représente une chose et qu'on en raconte une autre. Celui qui la regarde n'y verra pas forcément tout ce que j'y ai mis, mais c'est l'intensité qui doit passer".
Dans son autobiographie, Garouste évoque aussi sa maladie, ses délires et ses nombreux séjours en hôpitaux psychiatriques, les traitements, les moments de répit, les nouvelles crises.
Parce qu'il fallait bien vivre aussi, Garouste travaille en tant que décorateur pour Jean-Michel Ribes, et pour la boite de nuit, le Palace qui connait un succès fulgurant à la fin des années 70. Il peint mais lentement. C'est sa rencontre avec le marchand d'art Léo Castelli va lancer sa carrière de façon fulgurante. Il expose à New-York, Berlin.
Il lui faudra attendre encore quelques années pour obtenir la reconnaissance des officiels français, alors trop tournés vers l'art conceptuel, l'installation considérées comme avant-garde. Ce qui n'empêche pas Garouste d'honorer des commandes publiques, dont les plafonds de l'Elysée. Son dessin surréaliste, les histoires (inspirées de la mythologie ou de la bible) forgent son style.
Garouste explique qu'il dessine beaucoup, des études préliminaires, puis :
"Quand je traverse le jardin (vers son atelier), je deviens un artisan. Quand je peins, c'est comme si mes mains décident. j'aime ce moment où il n'y a plus qu'elles, la tête se relâche. Je vis la peinture au premier degré, comme une matière, une chimie, une alchimie. Je ne la fabrique plus maintenant, mais elle reste à mes yeux des pigments et de l'huile sur une palette. Elle ne prend son sens que lorsqu'elle donne vie au sujet, à l'histoire que j'ai choisi de raconter.
Lucide sur l'art, Garouste n'est pas tendre avec l'art contemporain : "les artistes sont aujourd'hui comme les alpinistes une fois l'Everest vaincu. Ils peuvent décider de monter sans cordes ni piolet, à reculons, torse nu, surenchérir toujours sur la performance. Ou au contraire, mettre leur pas dans ceux des maîtres, chercher leurs propres sensations, leurs propres vibrations sur le toit du monde".
Garouste explique sa démarche, simplement : "si j'ai peint des textes qui ont irrigué les siècles, fabriqué la pensée et conditionné la notre, à notre insu, c'est pour regarder en nous, révéler notre culture, notre pensée dominante, notre inconscient. Je veux être le vers dans le fruit."
J'ai trouvé au plus profond de moi, de ma honte, des choses que je pense universelles. J'ai démonté les textes, et les catéchismes, j'ai voulu briser le moule qui a modelé et rendu passif notre rgard.
J'ai peut-être fait une oeuvre en forme de circonstance atténuantes.Les citations de Gérard Garouste sont tirées du livre 'Lintranquille" aux éditions l'iconoclaste - 2009.