On peut être réaliste de l’irréel et figuratif de l’invisible.
« Mais c’est du figuratif ! » s’exclamèrent les visiteurs lors du vernissage de la première exposition d’un jeune peintre, Balthus, à la galerie Pierre à Paris, en 1934. Il En pleine période surréaliste ou abstraite, la peinture de cet inconnu tranchait. Et choquait. La toile « La leçon de guitare », par son sujet franchement érotique, fit scandale.
La dite toile, achetée quelques années plus tard par le MOMA de New York ne fut jamais exposée et ne fut pas non plus montrée lors de la rétrospective Balthus organisée par le Centre Beaubourg à Paris en 1984, 50 ans plus tard. C’est dire si ce tableau reste encore choquant. Malicieux, l’artiste a reconnu qu’il l’avait peint justement pour faire parler de lui, même si cette œuvre ne fait qu’annoncer les thèmes de prédilection d’un des artistes les plus originaux de sa génération.
Mais qui est donc ce jeune homme à la peinture aussi maîtrisée que scandaleuse ?
Balthazar Michel Klossowski (son vrai nom) naît un 29 février 1908, à Paris. Son père est historien de l’art, et peintre. Sa mère Baladine est l’amie du poète Rainer Maria Rilke. Son frère Pierre Klossowski sera également peintre et écrivain. Dans cet univers raffiné et cosmopolite, le jeune Balthus dessine et se permet même d’illustrer des poésies de Rilke. Il n’a que 12 ans. Il passe ses vacances dans l’atelier du peintre et sculpteur allemand Magrit Bay en Allemagne, pays d’où est originaire son père.
Inscrit à une école de dessin à Paris, il est encouragé par Bonnard et passe son temps à copier des tableaux au Louvre. Puis il se rend en Italie où il copie certaines fresques de Piero Della Francesca et de Masaccio. Il expose pour la première fois à 21 ans, en Suisse. Après son servie militaire, il s’installe à Paris et entreprend d’illustrer les Hauts de Hurlevent d’Emilie Brontë.
Balthus ne suit pas un parcours classique aux Beaux-Arts. Il se forme lui-même, s’imprégnant des techniques du quattrocento, et de la peinture classique. Il se définira toujours comme un autodidacte.
Même si sa peinture tranche totalement avec les courants artistiques, abstraction, surréalisme, Balthus noue de nombreuses amitiés dans le monde artistique. Giacometti, Pierre-Jean Jouve – le poète sera un ardent défenseur de sa peinture -, Antonin Artaud, et Picasso qui lui achètera une toile en 1942. Les amitiés de Balthus sont solides et fidèles, et il retrouvera régulièrement Picasso ou Giacometti.
Balthus est aussi décorateur de théâtre. On note d’ailleurs dans ses œuvres un grand sens de la mise en scène, dans les attitudes et dans la composition. Mozart, Camus, Shakespeare ou Artaud, Balthus crée avec enthousiasme, tout en continuant son œuvre picturale, dérangeante sous sa facture classique, nous y reviendrons.
En 1961, son ami Malraux, Ministre de la culture, le nomme Directeur de la Villa Médicis, dont il entreprend la restauration et réorganise l’enseignement. En 1967, il convole en secondes noces avec la japonaise Stesuko Ideta qui sera aussi son modèle. Dix ans plus tard, âgé de 61 ans, il quitte Rome pour s’installer à la Rossinière en Suisse, un magnifique chalet où il peut peindre et recevoir ses amis. Honoré par diverses récompenses prestigieuses, exposant partout dans le monde, Balthus meurt le 18 févier 2001.
« Je pense que l’artiste le devoir d’être profondément narcissique, c’est-à-dire qu’il a le devoir d’être amoureux de la beauté » aimait dire Balthus. Peintre de la femme, de la très jeune femme, peintre des chats, il montre en peinture des attitudes osées, une nudité troublante, parfois à la limite du surréalisme. Ces personnages semblent figés, par un subtil jeu d’ombres et de lumière, parce que Balthus voulait que sa peinture résiste au temps. S’il recherche les techniques anciennes des grands peintres de la Renaissance ou de la peinture classique, ce n’est qu’au service d’un sujet destiné à provoquer un « frisson cérébral ».