Je sais bien que ma main n’y est pour rien, elle ne fait qu’obéir, elle suit ce qu’on me dicte de faire, je ne suis qu’un instrument.
En 1912, Séraphine Louis rencontre le collectionneur d’art allemand Whilhem Uhde.
Impressionné par l’œuvre luxuriante de la demoiselle de Senlis, il va l’encourager et lui achète des toiles qui étonneront les artistes parisiens que Uldhe fréquente et soutient.
Pendant 2 ans, Uldhe rendra régulièrement visite à Séraphine, lui achetant des œuvres. Mais Uhde est allemand et dès le début de la première guerre mondiale, il doit quitter la France pour Weimar. Sa collection parisienne sera volée. Pacifiste convaincu, il donnera des conférences sur l’art un peu partout dans cette Europe déchirée.
Les années de guerre sont particulièrement éprouvantes pour Séraphine. Elle subsiste en échangeant des toiles auprès des commerçants, et continuant ses travaux noirs. Elle peint toujours avec ardeur.
Il est faux de voir en Séraphine une peinture naïve. Ses compositions sont étudiées, ancrées par une bande noire en bas du tableau pour s’élever ensuite (une élévation spirituelle) vers le haut.
Les formes aussi sont travaillées, précises et si la représentation semble des fleurs ou des feuilles, le vrai sujet du tableau est bien la matière picturale en elle-même, superposée, créant une accumulation et une richesse de couleurs, des textures soyeuses et riches. Plumes, feuilles, fleurs tissent la trame d’un monde merveilleux, vivant, premier.
Les conservateurs de Musée se disent toujours étonné par la fraîcheur de cette peinture qui ne semble pas vieillir
A partir de 1925, Séraphine consacre de plus en plus de temps à la peinture. C’est aussi à cette époque que se manifestent les premiers troubles. Certes, de par son comportement et sa vie, elle passe pour une originale. Mais elle est sujette à des angoisses, et parfois ses attitudes peuvent sembler étranges.
En 1927, elle retrouve Uhde. Celui-ci lui achète des toiles qu’il expose avec succès à Paris mais aussi à Londres et en Allemagne. Ses œuvres sont achetées par des collectionneurs. Uhde la rémunère et lui fait livrer des toiles immenses et des tubes d’huile qu’elle refuse. Elle a ses mélanges. Séraphine dit que la Vierge lui impose de faire des formats de plus en plus grands.
« Si vous saviez comme c’est beau quand Elle vient ».
Hélas, Séraphine est incapable de gérer cet argent qui afflue. Elle achète un peu n’importe quoi, et dépense sans compter. Elle dit dialoguer de plus en plus avec les Anges, et prévoit de se marier avec l’imaginaire Cyrille. Hélas la crise de 1929 ne permet plus à Uhde de la rémunérer et il cesse de lui donner de l’argent.
En proie à de violentes crises d’angoisse, Séraphine abuse de ce petit vin naturel. Elle se persuade que des « femmes en noir » veulent brûler ses tableaux et se met à douter de son art. L’inspiration si fertile fait place à des phobies, des délires de persécution. Les voix qu’elle entend se font plus présentes mais aussi plus confuses.
Le 31 janvier 1931, après avoir déposé tous ces biens sur la voie publique, elle est internée, tout d’abord à l’hôpital de Senlis, puis un an plus tard à l’asile de Clermont sur Oise, où elle restera jusqu’à sa mort en 1942.
Elle ne peindra plus jamais. Elle a 67 ans.
J’ai comme un mal intérieur qui me ronge le ventre. Il me faut du vin pour calmer ce mal intérieur.
L’état de Séraphine pendant ces 10 dernières années n’évolue pas. Elle semble résignée sur son sort. Même si elle demande à sortir, et se révolte parfois, elle est la plupart du temps enfermée dans son monde irréel. Elle se met aussi à écrire, mélangeant souvenirs et délires.
Avec la guerre, les conditions de vie deviennent atroces dans l’asile de Clermont : surpopulation, manque de nourriture, conditions d’hygiène dégradées. La santé de Séraphine se détériore. Elle se plaint d’avoir faim. En 1942, on diagnostisque un cancer du sein. Elle est soignée à coups de bromure et de chloral, des calmants puissants. Elle meurt le 11 décembre 1942, à 78 ans.
Séraphine Louis avait toujours souhaité être enterrée dans son village natal d’Arsy. Elle sera jetée dans la fosse commune. Il faudra attendre 2005 pour qu’une cérémonie à sa mémoire soit organisée par la Ville de Clermont. Un arbre sera planté en hommage à sa toile l’arbre de vie. L’épitaphe qu’elle a composée « Séraphine Louis, sans rivale, attendant sa résurrection bienheureuse » a été gravée sur une plaque.
Alors que les critiques et historiens d’art cherchent à classer Séraphine Louis (art naif, art primitif, art brut ?) je préfère laisser Séraphine libre de toute étiquette, d’écoles picturales ou de dogme. Juste contempler son œuvre, faire notre son paradis imaginaire qui nous incite à aller rechercher dans notre propre imaginaire des visions belles et apaisées.
Bibliographie
- Séraphine de Senlis, collectif, Gallimard, avec une très belle iconographie
- Séraphine de Françoise Cloarec, Phébus poche
- Séraphine, peintre aliénée, thèse de doctorat de médecine de M. Orthas-Perreti, contenant les écrits et le dossier médical de Séraphine Louis.
- Séraphine de Senlis d’Alain Vircondelet, Albin Michel