
"L'artiste a pour tâche de susciter le malaise chez l'être humain, et pourtant nous sommes attirés vers une grande oeuvre par une alchimie involontaire, comme le chien qui flaire une odeur. Le chien n'est pas libre, il n'y peut rien, il flaire et l'instinct fait le reste".
Lucian Freud est né le 8 décembre 1922, à Berlin. Il est le petit-fils de Sigmund Freud le père de la psychnalyse. Sa famille s'installe en Grande Bretagne en 1933. Lucian Freud suit une formation de peinture et de dessin dans une école d'art et publie ses premiers dessins dans la presse en 1938. Il obtient cette même année la nationalité britannique.
Freud connait le succès dès 1950. Il remportera des prix internationaux et représentera son pays à la Biennale de Venise en 1967.
Lucian Freud est le peintre du corps et de repos. Il aime se comparer à un biologiste et recherche le réalisme parfois cru de l'intimité. Ses modèles sont ses amis, les gens de sa famille.
"Je peins les gens non pas à cause de ce qu'ils sont, ni tout à fait en dépit de ce qu'ils sont, mais selon la manière dont ils sont" dit-il.
Observateur scrupuleux mais sans complaisance, Freud est avant tout un dessinateur : "le dessin est une défense contre l'idée reçue de la peinture". Il ne cherche pas à se lancer dans l'abstraction, mais peindre la dissemblance. Si il emprunte au surréalisme, on le sait un grand admirateur de Dali, Miro et Chirico, il va developper petit à petit sa touche personnelle.
Il innove en cadrant ses portraits de façon serrée. Le visage envahit le tableau. Les volumes sont privilégiés, et sans sentimentalité, Freud représente "ce que l'on ne montre jamais", les rides, les poches de graisses, les irrégularités du visage, par un travail d'ombre et de lumière subtile.
Il accentue ainsi, déforme les traits, à une époque où l'art abstrait est de mise (années1950), et où les peintres figuratifs recherchent la distorsion abstraite.
Sa rencontre en 1952 avec le peintre Francis Bacon, va influencer sa peinture. Bacon fait des oeuvres "explosives" et dérangeantes. Liés par une profonde amitié, les 2 artistes vont se répondre picturalement et maitriser ce qui fera leur originalité.
Freud ne se limite plus aux portraits, mais inventorie le corps. La ligne devient forme, le cadre s'élargit, et les positions des modèles ne sont plus figées dans des attitudes convenues.
Qualifié de peintre réaliste (à l'instar d'un Courbet en son temps), Lucian Freud ne cherche pas le réalisme. Il cherche le décalage, l'étrange. Freud ne pose pas un modèle objectif sur ses modèles. Il peint des situations inédites, dans le cadre de son atelier de travail.
Au fil des ans, sa matière picturale se fait plus riche. Il élargit la gamme de ses couleurs. Jusqu'aux années 1960, Freud utilise une palette de tons rompus, passés. Aorès 1960, sa touche se fait plus vigoureuse, sa palette s'élargit aux rouges.
Freud cherche à capter des émotions subtiles : la surprise de l'intimité, le trouble entre vulnérabilité et aisance.
Si il fait quelques infidélités aux corps et au portrait pour peindre un paysage urbain, un cheval ou un arbre, l'artiste revient toujours à la matière humaine. Au milieu des années 70, il utilise le pigment dit blanc de Cremmitz, contenant une forte quantité d'oxyde de plomb. Un blanc lourd crayeux qui va lui permettre de modeler des nus dont les poses peuvent sembler érotiques, mais qui ne le sont pas. Plutôt saisis dans une intimité, un demi-sommeil, et une animalité revendiquée par l'artiste.
"Ce qui m'intéresse vraiment chez les gens, c'est leur coté animal. C'est en partie pour cela que j'aime travailler à partir de leur nudité".
Freud ne recherche pas un canon de beauté classique chez ses modèles. Il peint des personnes minces ou grosses, jeunes ou âgées, sans aucun tabou. "Je peins des corps ordinaires, avec la même attention que l'on porterait à des monstres si ils se montraient en public" dit-il avec malice.
Et c'est en cela que sa peinture est unique, dérangeante pour certains. Freud montre ce que l'on ne montre pas, avec un éclairage froid qui désincarne la chair pour en faire matière presque morte.
A l'écart des grands courants artistiques, Lucian Freud n'entre dans aucune catégorie pour le critique d'art. Fruits d'un tempérament individuel, l'oeuvre est ce qu'elle est.
"Qu'est-ce que j'attends d'un tableau ? Qu'il étonne, trouble, séduise, persuade."