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25 févr. 2010

Zoran Music


« Je dessine comme en transes, m'accrochant morbidement à mes bouts de papier. J'étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. De loin, ils m'apparaissaient comme des plaques de neige blanche, des reflets d'argent sur les montagnes, ou encore pareils à tout vol de mouettes blanches posées sur la lagune, face au fond noir de la tempête au large. »

J'ai découvert Zoran Music dans les années 1990, lors d'une exposition au Centre Beaubourg à Paris. A l'issue de cette visite, j'ai eu une incroyable énergie et un désir de peindre accru, alors que l'oeuvre de Music est tragique. Mais la simplicité des formes, l'emploi restrictif de la couleur, et une étrange poésie se dégageaient des oeuvres exposées, des dessins et des gouaches, mêlant les paysages dalmates et les dessins terribles des années de déportation.

Zoran Music est surtout connu pour ses dessins et ses oeuvres réalisées lors et après sa déportation au camp de Dachau qui le marquera à jamais.
Music est né le 12 février 1909 à Bukovica (actuelle Slovénie), près de la frontière italienne, d'un père enseignant et d'une mère institutrice. Il veut devenir professeur de dessin et suit une formation à l'école des Beaux-Arts de Zagreb. Très vite sensibilisé à l'art impressionniste, il voyagera en Allemagne, à Prague puis en Espagne, en 1935. La découverte des maîtres espagnols Vélasquez et Goya auront une influence considérable sur l'artiste qui y vivra jusqu'au début de la guerre civile espagnole. De retour en Yougoslavie, il peint des fresques pour les églises et travaille sur une série de peintures nommées "motifs dalmates".


En 1943, un autre choc attend Zoran Music, la découverte des primitifs italiens et des peintures byzantines lors d'un séjour à Venise. Mais la guerre le rattrape. Soupconné d'être résistant, il est arrêté en 1944 par la Gestapo. Emprisonné et torturé, il est envoyé à Dachau en novembre 1944.
Music n'était pas à propre parler un résistant actif, mais pris dans le maelström de la seconde guerre mondiale, il refusera de collaborer avec les SS, et sera envoyé en camp. Il réussit à être employé à l'infirmerie du camp, ce qui lui permet de trouver du papier - il déchirera même des pages des livres qui trainent et de fabriquer de l'encre. Music réalisera, en secret, quelques 200 dessins, témoignage de la barbarie quotidienne. Beaucoup de ses dessins ont été détruits.
Music, épuisé et malade sera libéré en 1945 par les Américains et renvoyé dans son pays.
Avec l'arrivée de Tito au pouvoir, Music fuit vers Venise où il retrouve sa famille. Il se remet à peindre reprenant le thème des motifs dalmates, comme pour échapper à l'horreur des années de guerre. Il s'initie aussi à la gravure. Reconnu par les intellectuels, Music expose à Paris et reçoit plusieurs prix.

En 1970, une série de peintures "Nous ne serons pas les derniers" reprend les dessins de Dachau. Music s'insurge aussi contre les totalitarismes qu'ils soient capitalistes ou communistes. Il obtient la reconnaissance du public, couronné par une grande rétrospective au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 1972, suivie d'expositions dans toutes les capitales européennes. Zoran Music peint des paysages de Venise, malgré sa vue qui décline.
Il meurt le 25 mai 2005 à Venise.

Music, c'est une peinture qui ne se rattache à aucun courant.
D'une part les oeuvres sombres des camps, les cadavres qui s'amoncèlent, silhouettes à peine esquissées, comme des empreintes de corps, déjà immatérielles. Music c'est l'art de la perte, sublimé par une économie apparente de moyens : couleurs terres, coups de pinceau légers, mise en page sobre.
Dans les camps de Dachau, entre nous, nous formulions une conviction : « Jamais plus une chose pareille ne se répétera. » Vingt cinq ans plus tard, aujourd'hui même, l'histoire et l'actualité démentent notre souhait. D'où le titre de cette série.


Et puis des oeuvres plus joyeuses de paysages dalmates, de chevaux, de marché. Le dessin est simple, la matière travaillée et la gamme de couleurs s'autorise des jaunes et des roses, mais toujours passés, rompus par le temps, le sujet de la peinture, ces nécessaires retrouvailles avec l'enfance, pour échapper aux souvenirs du désastre.
Ces interrogations concernent le regardant, pas le peintre. L'Artiste doit exprimer sa vérité, faire un avec elle. Il voudrait être dans la toile et la toile dans lui. Ne plus savoir où il commence, où elle finit. Le tableau n'est pas créé intentionnellement : l'artiste le porte sur tout un parcours et le transmet dans un second temps.
Ce ne sont pas les yeux qui travaillent mais ce qu'on porte en soi. Il faudrait pouvoir travailler les yeux fermés. L'image rendue serait plus authentique sans le recours des yeux, la mémoire y suffirait. On s'encombre souvent de superflu, de détails.

En savoir plus
Nous ne sommes pas les derniers, de Zoran Music aux éditions Hors du Temps, 2003
Zoran Music, rétrospective de Jean Clair aux éditions Cinq Continents, 2003
Zoran Music, voir au coeur des choses de Steven Jaron, Editions Echoppe 2008
Vous retrouverez les citations de Music dans l'ouvrage "Entretiens 1988-1998", Editions Echoppe 2000.